« Au nom du Seigneur, taisez-vous » : à Lyon, le Comité de la Jupe dénonce un dérapage clérical insensé
Quoi qu’il en soit des substrats locaux qui ont pu inciter à ce dérapage, un prêtre de l’Emmanuel a récemment tenu des propos qui montrent à l’église Saint-Nizier de Lyon, et bien au-delà, comment le sentiment de toute puissance peut faire perdre à un clerc le sens de sa mission.
Instrumentalisant la fête mariale du 8 décembre, ce prêtre a commis la triple faute d’insulter le peuple de Dieu, d’exercer un impressionnant abus d’autorité, et de détourner honteusement une figure biblique majeure : celle de Marie. En bref, il se livre, en une seule homélie, à toutes les dérives que dénonce le pape François : l’hypercléricalisme et la manipulation.
Pour commencer, quelle outrecuidance faut-il développer pour vouloir instaurer avec ses paroissiens un rapport qui l’autorise à les insulter et les sommer de se taire ? Reprenons ses propres termes : « Si vous militez pour influencer l’évêque… vous êtes une “engeance de vipère” ». « Langues de vipères, taisez-vous une bonne fois pour toutes », « L’heure est au silence », « Taisons-nous face au mal », « Maintenant ça suffit, taisez-vous… sinon vous serez jetés au feu sous peu ». Un « taisez-vous » martelé sept fois.
Mais l’abus d’autorité cléricale ne lui suffit pas. Il convoque la mère de Dieu dans une représentation stupéfiante : il faut se mettre « à l’école de Marie ». Soit, mais comment la décrit-il ? Il oublie celle qui a proclamé le Magnificat, texte du Nouveau Testament le plus long mis dans la bouche d’une femme, pour affirmer contre toute évidence exégétique, que « Marie est entrée dans le silence ». Et de conclure : « Voilà le chemin du salut… taisons-nous face au mal… à l’école de Marie l’humble servante… ». Et ce n’est pas se taire que d’exprimer le programme de son fils en faveur des humiliés et des opprimés. D’ailleurs face au mal, Marie annonce que ce n’est pas la soumission qui va prévaloir puisque son fils va « jete[r] les puissants à bas de leurs trônes » (Lc1, 51-52). Comme le montre le livre Marie telle que vous ne l’avez jamais vue qui vient de paraître chez Salvator, Marie, loin d’être silencieuse et soumise, dénonce le mal, s’active pour engager son fils sur le chemin de la Révélation et, aidée par l’Esprit, non seulement accepte de porter le Verbe qui vient nous sauver mais s’en fait la disciple.
Ce prêtre préfère sans doute oublier que dans ce texte du Magnificat, Marie proclame que Dieu « a dispersé les hommes à la pensée orgueilleuse », ceux peut-être qui disent aux autres de se taire ?…
Enfin ce clerc (de « kléros », cet être « tiré au sort », mis à part, selon l’étymologie du terme) a-t-il totalement oublié ce pour quoi, pour qui, il se trouve en train de s’exprimer ? Est-ce dans l’invective, l’abus de pouvoir, qu’il pense représenter le Christ venu parmi nous pour nous assurer sa miséricorde et la promesse de salut ? C’est ainsi tout le sens de la prêtrise qui est réinterrogé par la violence des paroles adressées à celles et ceux que cet individu est censé guider. Éric Jacquinet, pas davantage que ses collègues, n’est un « alter Christus » ! Il ne possède rien qui lui confère le droit de malmener ses frères et sœurs en Christ. Au contraire, il devrait se souvenir que Jésus n’a jamais nommé de prêtres puisqu’il est venu abolir toute hiérarchie entre les humains. Souvenons-nous : nous sommes toutes et tous fils et filles d’un même Père, ainsi que Jésus l’indique à la Magdaléenne au moment de la Résurrection en Jean 20,17, selon ce verset fameux : « va trouver mes frères et dis-leur : je monte vers mon Père qui est votre Père ».
Par conséquent, au lieu de se comporter en garde-chiourme, celui qui se prétend capable de conduire celles et ceux qui lui sont confiés, devrait s’efforcer de maîtriser ses propos, et aussi s’il se peut, d’honorer sa mission d’enseignement en ne trahissant pas la Bonne Nouvelle qu’il doit transmettre. Sinon, comment peut-il espérer porter les charges conférées par son ordination, dans le respect de la vocation de service à laquelle il s’est engagé. Et enfin… n’a-t-il pas été nommé récemment dans cette paroisse pour « œuvrer à l’apaisement » ? Curieuse méthode !
Groupe local 69 du Comité de la Jupe : Sylvaine Landrivon, Gabrielle Fidelin, Grégoire Soual-Dubois
Cette tribune a été publiée dans le Golias Hebdo n°845, le jeudi 19 décembre 2024.