Retours des participant·es au festival des Poussières
Cet été avait lieu la 2e édition du Festival des poussières. Un festival chrétien engagé, organisé par le collectif Anastasis et qui a pour sous-titre « Évangile et révolutions ». Nous étions plusieurs membres actif·ves ou sympathisant·es du comité de la jupe à participer et plusieurs d’entre nous ont souhaité partager leurs impressions, leur ressenti.
C’est un article un peu long mais avec 5 témoignages sincères de ce grand moment d’adelphité que nous avons vécu. Peut-être que ces témoignages vous donneront envie d’y participer l’an prochain ?
Le témoignage de Clémence C.
Après avoir été invitée l’année dernière lors de la première édition du festival des Poussières pour animer trois ateliers (cf article), je suis revenue en tant que participante pour l’édition 2024.
J’ai vraiment apprécié ces quatre jours passés en haut de cette colline, dans l’éco-hameau de Goshen. Ce qui m’a le plus touché est le fait d’aborder une multitude de sujets, qui peuvent paraître figés ou intouchables dans la religion. Pour ma part, j’ai eu une envie de découvrir d’autres sujets que ceux que j’approfondis d’habitude dans mes engagements féministes et écologiques. Les conférences auxquelles j’ai assisté étaient par exemple sur l’abolition de la prison, la théologie critique de la police, ou bien le théâtre chrétien. Cette volonté de me diriger vers de nouveaux sujets reflète bien la dynamique que je souhaite prolonger pendant toute cette année.
Sur le plan spirituel, la prière queer est de loin le moment le plus émouvant que j’ai pu vivre. En effet, cette prière s’est d’abord composée de témoignages poignants de personnes ayant été rejetées par l’église catholique de par leur identité de genre ou leur sexualité. Après l’explication de leur chemin de croix, iels ont terminé avec un message d’espérance de pouvoir compter sur Jésus.
Pendant ce temps fort, je me suis vraiment sentie en adéquation avec cette église-là. Je dirais donc que j’ai vécu une expérience ressourçante et émouvante qui m’a permis de me rapprocher du Royaume.
Finalement, je suis heureuse de savoir que toutes les personnes présentes vont retourner dans leur vie quotidienne et porter les fruits et les réflexions de ce festival, afin de montrer un autre visage de l’église.
Le témoignage d’Élise
Depuis cette fin du mois d’août, le festival des Poussières continue à résonner en moi. J’ai été frappée par la diversité des espoirs, des luttes, des engagements, des itinéraires qui ont mené chacun.e d’entre nous à Goshen, et par l’organisation des journées, nous permettant de nous rencontrer au « présent » : lors de conférences ou ateliers thématiques, pendant les temps de services ou les repas, ou dans des moments plus préservés en petits groupes. J’ai été sensible à ce soin de la forme qui, au-delà du fond et des grandes idées, tâchait de penser concrètement l’inclusion de chacun.e : le fait que nous puissions toutes et tous nous sentir pleinement à notre place dans notre identité, nos choix de vie, nos rythmes, nos sensibilités, nos différents combats. Le moment le plus marquant reste pour moi la prière du vendredi soir, menée par les membres de l’équipe LGBTQ+. Comme le Christ le propose dans l’Évangile, elle invitait à remettre, à la fois spatialement, structurellement et symboliquement au centre du chœur, celles et ceux des « marges », portant en eux cette expérience du rejet ou du désamour de l’institution, de leur famille, d’eux-mêmes. Leur témoignage, leur amitié avec Jésus dans sa mort et sa résurrection, m’ont profondément touchée. Il me semblait que se réunissaient alors toutes nos douleurs et dénigrements secrets … jusqu’à la Joie ! Ces quatre jours de festival m’ont donc donné le sentiment de vivre en communion quelque chose de vrai et d’important. Ils m’ont rappelé que l’Évangile pouvait être une terre d’accueil de nos luttes, nous aidant à ne pas sectariser nos combats et à ne pas déréaliser son prochain.
Le témoignage de Clémence Pr.
[L’exercice de résumer en quelques lignes ce que je retiens du festival des Poussières n’est pas aisé ! Il y aurait tant à dire des découvertes, rencontres, échanges, rires et larmes, repas et danses, musiques et précieux silences – le tout si généreusement accueilli par les familles habitant toute l’année à Goshen.
Il y aurait tant à dire du soulagement de retrouver d’autres que moi qui partagent ce sentiment de malaise en Église et pourtant sont habités par un fort désir de vivre avec d’autres leur foi dans l’Évangile du Christ. Tant à dire de la joie d’apprendre que partout naissent des initiatives bricolées, assumant leur fragilité, afin que chacune et chacun puisse nourrir son amitié avec Jésus, là où elle.il est, depuis les marges, ou sur le seuil, là où la porte est grande ouverte vers le monde.]
J’aimerai partager quelque chose du concret de nos quatre jours à Goshen. Je voudrais décrire la chapelle forestière qui a accueilli les temps de prière et l’Eucharistie du dimanche, qui sont, je crois, des moments que je garderai longtemps en mémoire.
Une clairière a été aménagée à flanc de colline, ouverte à l’est sur la combe de l’Arvo. Trois des troncs fins et arqués, sciés pour nous faire de la place, forment un haut trépied lancé vers le ciel qui soutient le Christ d’Assise. Devant lui est placé l’autel, et suivant cet axe jusqu’au cœur de l’assemblée, on trouve l’ambon des lectures. Ainsi la parole et la table du repas se font face. Ainsi les mots de la Bible et la voix de Charlotte qui dira l’homélie s’élèvent depuis la petite foule que nous formons. Antoine, le prêtre qui rompra le pain et servira le vin, est assis parmi nous. Nous sommes toutes et tous orientés vers la Croix et vers la vallée, ses forêts, ses champs, ses vaches et les petites routes tortueuses de Bourgogne. Nous regardons le Christ crucifié et derrière lui la Création frémissante dans le matin.
Pendant cette Eucharistie deux moments inédits m’ont particulièrement touchée.
La célébration commence avec le geste des cendres. Chacune des « petites poussières » que nous sommes peut tracer sur le front de sa voisine ou son voisin une croix de cendre en disant ces mots « souviens-toi que tu es aimé.e de Dieu ». Ce geste, qui réunit l’humilité de notre condition humaine et la dignité des enfants de Dieu, nous fera entrer dans la prière en sœurs et en frères.
Pendant l’offertoire, seront apportés pour être bénis, sanctifiés et partagés le pain sans levain préparé par certains d’entre nous, le vin chaud et rouge de Bourgogne, et avec eux : des racines ; un rhizome touffu et complexe de racines. Nos racines individuelles et collectives qu’il nous a fallu parfois arracher, transplanter, retrouver… Nos racines qui sont parfois des épines blessantes, parfois des ressources précieuses, bénies avec le Corps et le Sang du Christ.
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[Le festival des Poussières ? Un joyeux grain de sable dans les rouages parfois trop bien huilés des croyances érigées en systèmes pour nous prémunir du doute, ignorer nos vulnérabilités et endormir nos angoisses existentielles…]
Le témoignage de Luzia
Ce furent 4 jours de festival improbable où se sont mêlés militantisme, fête, prière, réflexion et repos. J’ai rencontré des pratiquants, athées, agnostiques, croyants isolés ou renfrognés, juifs et musulmans. Le programme était dense, chaque proposition était libre et rien n’était imposé ; ne serait-ce que la participation aux services pour le bien être du quotidien de la communauté. J’ai adoré les groupes de partage quotidien en toute intimité, passer de la tête au corps et danser sur des rythmes effrénés; l’inclusivité et la beauté des temps spirituels, et puis la belle part faite aux temps participatifs avec le forum et la scène ouverte où les talents et richesses de chacun ont pu se partager. Je repars avec de belles rencontres et l’équilibre encore délicat à trouver de rester humble dans ses positions pour ne pas tomber dans l’idolâtrie de ses convictions tout en sachant s’entourer pour se porter dans nos indignations, s’encourager et rester soudés !
Le témoignage de Grégoire
Quel festival ! J’y arrivais fatigué d’une année sans messe ou presque, lassé d’écouter de vieux hommes pétris d’immobilisme à l’ambon, sonné de l’annonce régulière de nouvelles violences sexuelles révélées dans le milieu catho. Je crois que je voulais me ressourcer, mais sans trop y croire, au fond. Ces quatre jours m’ont donné une force, une confirmation : la volonté renouvelée de rester dans l’Église (ou à sa marge, selon mon humeur). Au moins un pied dedans, en tout cas ; complètement en-dehors, je n’y arrive pas non plus, j’ai besoin de cette communion. Rencontrer du monde qui partage mes frustrations et mes colères m’a fait du bien. Aux Poussières, c’est la facilité de chaque discussion qui m’a saisie : se poser avec l’une ou l’autre, se demander mutuellement « alors, toi tu viens comment ici, tu viens pourquoi ? ». J’en garde aussi le souvenir d’un festival reposant : le succès du coin détente et ses hamacs, la liberté de participer ou non à tel ou tel temps de chaque journée, et l’aspect à la carte qui m’a permis de vivre un peu à mon rythme ces vacances chrétiennes au vert. Côté conférences et ateliers, j’ai été heureux d’entendre aborder sérieusement les thèmes de l’antifascisme, de la décroissance, de l’abolitionnisme carcéral, des luttes post-coloniales, des féminismes ou encore des mobilités décarbonées. Pour donner du corps, de la matière à mon indignation, pour me former.
Dès la conférence d’ouverture, ému par ce long montage audio de voix contestataires puissantes, et, à la fin, par le lancer de pelotes de fil tressées entre nous comme une grande toile, j’ai compris où je mettais les pieds : un lieu simple pour faire du lien, se redonner ensemble la force qui nous manque pendant l’année. Le vendredi matin, c’était tout simple, mais participer à un temps de prière musulmane guidée m’a rapproché un peu plus de mes frères et sœurs croyantes que je connais si peu. Grande émotion aussi, le samedi, au temps de prière queer, sous un chapiteau bondé autour de celles et ceux qui osent la vie loin des normes de genre : une leçon de liberté, y compris de liberté dans la façon de prier. Et le grand final, l’eucharistie du dimanche en pleine nature, face à ce beau paysage de Bourgogne : une messe qui inclut, une homélie au féminin puissante, une liturgie réécrite pour ne pas parler qu’au masculin, tout ça, ça compte.
L’Église catholique, c’est aussi mon Église catholique, celle où j’ai grandi : en revenant des Poussières 2024, évènement sous-titré « Évangile et révolutions » sur l’affiche, je crois encore plus en un Jésus plus que critique de la norme enfermante, pointeur du doigt d’hypocrisies, renverseur de tables trop riches. Un agitateur, mais c’est bien, l’agitation. Je crois, comme Marie-Jo Thiel sur RCF en 2019, que « Jésus reste dans la barque malgré la tempête », et, comme Alix Bayle dans La Croix en 2022, que l’Église ne pourra pas éternellement « oppresser d’une main et accueillir de l’autre ». Le festival des Poussières a été pour moi un haut lieu de révolution : révolution du cœur, et révolution sociale concrète.
Le témoignage de Clémence Po.
Impossible de résumer ce festival tant il fut riche en émotions, en enseignements, en découvertes, en rencontres, en rires, danses, et créativité.
Tout ce que j’y ai vécu continue de me nourrir, presque un mois après être rentrée, ou plutôt « descendue de la montagne ». Mais je garde quelques perles qui resteront gravées dans mon cœur pendant longtemps.
Je garde ce moment de prière avec nos frères et sœurs musulman·es. Tous·tes assis·es dans l’herbe avec le paysage à perte de vue en face à écouter l’enseignement d’une sourate qui nous rejoint certainement toutes et tous, où que nous soyons. Puis s’agenouiller ensemble, entendre les autres prier dans une autre langue, les accompagner en priant en silence à côté d’eux. Quel moment puissant de paix et d’adelphité.
Je garde aussi les personnes de mon « chenis ». Le chenis, c’est le petit tas de poussières que l’on accumule après avoir balayé. Chaque soir, nous nous retrouvions en petit « tas de poussières », petits groupe de festivaliers. Ces personnes que j’ai croisées m’ont émues par la sincérité de leur parole. Il y avait des joies, des incompréhensions, des inquiétudes, des enthousiasmes. Il y avait surtout une communion simple et sincère et chaque soir, je me réjouissais de les rejoindre.
Je garde enfin cette prière queer qui m’a émue aux larmes. La justesse des mots, la force du témoignage des personnes blessées par l’église et qui témoignent pourtant de leur foi en l’amour du Christ. Je garde ces visages, ces sourires, ces mains levées et les paroles de cette chanson que nous avons chanté toustes ensemble : « We shall overcome someday, We are not alone today, We’ll walk hand in hand today, God is on our side, always, We shall live in peace, someday, We shall all be free, someday.* »
* Nous surmonterons un jour, nous ne sommes pas seul·es aujourd’hui, nous marchons main dans la main aujourd’hui, Dieu est à nos côtés toujours, Nous vivrons en paix un jour, nous serons toustes libres un jour.