Bilan du week-end « Chrétiennes, féministes et écologistes »

Comme chaque année, depuis désormais trois ans, le Comité de la jupe organise une rencontre durant le week-end de Pentecôte sur un sujet particulier, proposé par un groupe local, et validé par le bureau national. Après celui de l’an dernier organisé par le groupe de la Rochelle/Saintes à l’abbaye de Maumont sur le thème Oser un corps libéré, c’est l’équipe de Lyon qui a pris la charge de l’aventure pour cette année 2024.

Le choix du lieu : un retour comme en 2022 au Couvent dominicain de la Tourette à Eveux.

Le thème :

CHRÉTIENNES, FÉMINISTES, ÉCOLOGISTES :
L’Évangile comme réponse à la violence faite à la terre et aux femmes

Une invitation a été envoyée à chaque membre du comité de la jupe et a recueilli l’intérêt d’une soixantaine de personnes.
Détail formel : Outre les frères qui nous accueillaient, les hommes ayant participé n’étaient que trois : Luc, Gaétan, journaliste, et Christophe, frère dominicain qui est intervenu durant la table ronde. Nous nous autoriserons donc à toujours employer le féminin dans ce compte-rendu.

Afin d’assurer le bon déroulement du week-end, un livret a été remis à chaque participante à leur arrivée. Il est possible d’en retrouver le contenu sur ce lien.

Quels étaient les projets, et qui orchestrait tout cela ?

Le groupe de Lyon (qui inclut aussi Isabelle de Grenoble) avait proposé de prendre la responsabilité de l’événement avec l’accord du bureau national.

C’est ainsi que Clémence P, Gabrielle, Stéphanie, Isabelle, Juliette, Nathalie, Valérie, Sylvaine et Luc se sont investis dans cette aventure. Grégoire et Véronique étaient désolés de ne pouvoir participer physiquement mais ont toujours été en pensée à nos côtés. Par ailleurs, Marie M. a apporté son assistance par la prise en charge de l’enregistrement vidéo, Clémence C. a géré la table ronde du dimanche, Christine nous a accompagnées avec sa guitare, et Françoise dans la mise en œuvre des moments de célébration avec Nathalie. Nous avons eu également la joie d’accueillir parmi nous Gaétan S. journaliste au Monde.

Merci à toutes pour leur enthousiaste et efficace investissement.

L’idée était de mettre en lien la violence faite à la terre et celle dont les femmes sont victimes, et de montrer comment l’Evangile dénonce ces exactions et propose des pistes pour lutter contre elles.

Vendredi 17 mai au soir à la Tourette

Grâce à l’accueil chaleureux et la super organisation de Florence Damey sur place, en collaboration avec l’excellente gestion en amont de Juliette, un peu plus de 40 participantes se sont retrouvées dès la fin de journée autour d’un pique-nique commencé en extérieur et poursuivi au réfectoire. Pendant ce temps, Luc faisait la navette entre la gare de l’Arbresle et le couvent.

Joyeux moment de retrouvailles dans l’effusion de la sororité. Certaines découvraient le couvent ; d’autres retrouvaient l’atmosphère d’il y a deux ans.

Caroline Ingrand-Hoffet, notre amie pasteure qui allait devoir nous quitter samedi en fin d’après-midi était heureusement déjà avec nous.

Samedi 18 mai : début des affaires sérieuses

Par les voix conjuguées de Stéphanie et Juliette, le groupe local de Lyon a accueilli les 60 personnes présentes (sur 63 inscrites) en manifestant l’enthousiasme qui les a portées durant toute la préparation de cet événement.

Ensuite, Adeline, Co-présidente du comité de la Jupe a rappelé l’histoire, les valeurs, et les objectifs du comité de la jupe qui se trouvent sur le site du Comité.

Pour introduire le thème du week-end et commencer à ouvrir des pistes, Isabelle avait réalisé un montage vidéo d’une quinzaine de minutes.

Ce film sera le support d’un temps de partage en petits groupes le soir, entre le dîner et la célébration, autour des thèmes suivants :

  1. Différents types de dominations (patriarcale, coloniale, de l’humain sur la nature) : comment sont-elles liées ?
  2. Eglise et écologie : une position claire ?
  3. Inégalités devant les causes et les conséquences des changements climatiques : que savons-nous ? Que pouvons-nous faire ?
  4. Les femmes face aux problématiques écologiques et aux crises sociétales : de quels leviers disposons-nous pour que les choses changent ?
  5. Une écologie intériorisée : comment éviter de passer des lumières de la spiritualité aux dérives d’un repli sur soi essentialiste ?
  6. Nos comportements individuels et collectifs : comment progresser, individuellement et ensemble, de façon juste et constructive ?

Toutefois, avant d’aborder ces questions très riches, il faut entrer dans les diverses facettes de la problématique.

Stéphanie expose les concepts biologiques qui seront évoqués durant le week-end ; Sylvaine ceux liés aux SHS et à la théologie. Un résumé de ces définitions est inclus dans le livret.

Comme aucune pause n’est prévue dans la matinée, c’est un sursaut dynamique qui est proposé avec le chant du MLF « Debout les femmes« .

Marie-Hélène Lafage prend alors en charge la première et passionnante intervention de la session. Elle va expliquer que la création n’est pas achevée une fois pour toutes ; nous participons à l’entreprise divine et nous avons la responsabilité de son devenir.

Marie-Hélène Lafage a tenté de définir pour nous ce que pouvait être un éco-féminisme chrétien. Son intervention a commencé par une introduction à l’éco-féminisme en général à travers les concepts théorisés par Françoise d’Eaubonne, les réflexions du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) sur l’impact du climat sur les femmes, et d’autres notions générales.

Elle a ensuite découpé son propos en 3 grandes parties.

Il a tout d’abord été question d’un Dieu créateur/créatrice qui transcende les genres. Selon elle, il est nécessaire de travailler sur la théologie de la création qui avance peu. Comment nous, chrétiennes, nous plaçons-nous comme co-créatrices avec Dieu ? Sommes-nous capables de regarder la terre dans sa sacralité, sans tomber dans le néo-paganisme ? Quelle capacité avons-nous à nous laisser inspirer par des sociétés pré-industrielles et par leur rapport à la terre et au sacré ? Cette question nous demande également de nous libérer d’une vision de Dieu exclusivement masculine. Pour cela, les mystiques comme Julienne de Norwich ou Hildegarde de Bingen peuvent être des sources d’inspiration : ces femmes ont prié Dieu au féminin et célèbrent Dieu dans la création. Féminiser Dieu nous aide également à ne pas diviniser Marie.

Ensuite, il a été question d’un Dieu qui nous libère de la domination, et en particulier de la domination de genre. Dorothée Sölle, théologienne allemande, pacifiste et féministe se révolte de voir le christianisme qui se dépolitise et donc valide les ordres établis (ex : nazisme). Elle va donc vers l’éco-féminisme. Elle prêche que nous sommes liés à l’ensemble de la création et que nous devons agir.

Enfin, l’éco-féminisme nous aide à construire une autre société dans laquelle nous donnons une très grande place à l’inter-dépendance et à la co-responsabilité. Le « care » n’est pas réservé aux femmes mais doit être pensé comme une valeur centrale pour toute la société. L’écologie doit être la charge de toutes et tous. Marie-Hélène Lafage pointe notamment le risque que l’écologie soit portée par les femmes (cf. Mona Chollet, le retour au foyer). En ne se limitant pas aux « petits gestes du quotidien », l’écologie sort de la charge portée par les femmes dans leur foyer.

Après cette matinée studieuse, le déjeuner a été chaleureux, convivial.

Ensuite, bien que la météo ne soit pas avec nous, nous maintenons le programme des 3 groupes de déambulation dans le parc de la Tourette :

  • un orienté vers la méditation avec Françoise,
  • un autour de l’éco-théologie avec Christophe
  • et le troisième plus écolo-biologique avec Stéphanie.

A 14h30 Caroline Ingrand-Hoffet, dans un exposé très intéressant en forme de témoignage, nous raconte son combat au service de la défense de notre territoire, notamment son implication dans la lutte contre le contournement ouest de Strasbourg, mais également sur d’autres lieux. Elle met en évidence les liens très forts entre son pastorat au service du Christ et l’implication dans le quotidien de la vie des humains.

La « pasteure de la ZAD » , surnom donné par les médias qu’elle a fini par s’approprier, nous raconte cette lutte qui démarre en 2017 lorsque le projet de GCO (Grand Contournement Ouest de Strasbourg) est ressorti des cartons. Le maire de la commune de Kolbsheim où elle est envoyée comme pasteure y est fermement opposé. Des zadistes sont appelés à la rescousse par le maire et les habitant·es du village pour protéger la forêt et la zone humide qui doit être détruite pour y faire passer l’autoroute.

Elle nous raconte le combat, les victoires et finalement la défaite lorsqu’un beau matin de Septembre, des dizaines de CRS déboulent dans le village avec force boucliers et armures pour laisser passer les machines de destruction, alors que le projet n’a toujours pas été officiellement autorisé.

Son témoignage insiste beaucoup sur le lien créé avec les zadistes. Des personnes parfois très éloignées de la foi, voire carrément anti-cléricales, et avec qui pourtant le dialogue a toujours été présent. Elle nous évoque les moments forts passés ensemble comme par exemple le repas de Noël dans la ZAD avec les jeunes n’ayant plus de liens avec leur famille et le sentiment d’être véritablement à sa place de Pasteure, là, dans la boue et le froid mais aussi dans la joie, les chants et la fête.

Elle nous raconte aussi « l’enterrement des arbres » organisé après que le chantier ait commencé et que la forêt ait été détruite. Ce moment nécessaire pour traverser le deuil que ressentaient les zadistes et les militant·es avait toute sa place dans l’église, pendant un culte construit avec des artistes où chacun·e a pu trouver sa place.

Le témoignage de Caroline Ingrand-Hoffet a touché en profondeur beaucoup d’entre nous.

Après un bref temps d’échanges, un goûter nous rassemble afin de reprendre des forces et suivre la visio-conférence de Marie-Jo Thiel à propos de son livre écrit avec la participation de Patrick C. Goujon : Plus forts, car vulnérables ! Ce que nous apprennent les abus dans l’Eglise. C’est ce livre qu’elle a eu la joie et l’honneur de remettre au pape François au mois de février dernier, et dont elle nous parle dans cette vidéo.

https://uottawa-ca.zoom.us/rec/share/C8W8IbJufl8NUEIwB3bPa0O3zBsWdl2Oi7tiLHeNaHpHPxFgyKCSmruYJoQ5eNIL.Z5hqXMz8eDizrMRX

Une phrase de son livre située à la page 185 amorce le thème et recadre le sujet : « Les violences sexuelles ne se produisent pas parce qu’il y a des personnes vulnérables – elles le sont toutes !- mais parce qu’il y a un agresseur qui profite de cette vulnérabilité ».

Cette vulnérabilité inhérente à tout individu peut malheureusement parfois être imputée à charge aux victimes, comme si certaines personnes étaient prédisposées à l’être. Mais Marie-Jo Thiel va commencer par définir cette vulnérabilité et aller plus loin pour nous montrer qu’elle peut appartenir aussi aux prédateurs, lesquels, hélas, au lieu de s’en servir de manière positive, la dénient et la laissent les entraîner dans de sordides abus.

Sur cette accumulation de fragilités, va se superposer la vulnérabilité de l’institution elle-même ; fragilité d’autant plus grave, qu’elle a parfois tendance à se croire « société parfaite ».

Il s’agit donc d’analyser la plurivocité du terme vulnérabilité qui met en évidence ses aspects paradoxaux comme expérience de blessure, de faiblesse, mais aussi d’ouverture à l’autre par dépossession de soi. Et repérez les divers angles d’approche selon qu’il s’agira de pointer les auteurs d’abus, la responsabilité de l’institution, la situation des victimes, le tout dans le cadre d’une société qui exalte le dépassement permanent.

Sylvaine orchestre le débat à la suite de la conférence avant un temps de pause, puis celui des vêpres et du dîner.

Le soir venu, Isabelle a constitué 6 groupes, chacun autour des thèmes suggérés par la vidéo. Un échange sans doute trop court… Ces mêmes groupes munis des bougies remises par Nathalie et Françoise, cheminent en silence vers l’église où tout est prêt pour un temps de célébration.

Nous chantons notamment « Esprit consolateur amour de tout amour » (Chant de Taizé) : « Viens lumière véritable, Viens vie éternelle, Viens mystère caché, Viens Saint Esprit. »

Sur la proposition de Françoise, Sylvaine et elle rendent hommage à leur ami Jean Lavoué qui vient de nous quitter, et lisent le poème « Demain », extrait de son livre Fraternité des lisières : poèmes pour la paix 2014-2018.

Moment de grand recueillement, de chant et d’action de grâce.

Dimanche 19 mai

Après le petit-déjeuner, les frères Charles et Grégoire accompagnent deux groupes pour une visite du couvent, avant la messe de 11 h.

Pour cette messe, puisque les frères n’ont pas consenti à la demande de Sylvaine de lire au moins l’évangile, (ce qu’ils acceptaient volontiers il y a 40 ans), ils ont tout de même permis que l’une d’entre nous fasse la première lecture.

Pauline a accepté cette mission et a demandé au frère Charles si elle pouvait féminiser les pronoms personnels et les adjectifs du texte, liés à l’apostolicité. Accord obtenu pour la plus grande joie des membres du comité de la jupe mais à la grande surprise des autres frères non mis dans la confidence. Certain·es paroissien·nes ont signalé cette entorse. Ils devront peut-être apprendre que l’assemblée est constituée pour moitié de femmes et que cela ne posait pas de problème à Jésus qui accueillait de la même manière ses sœurs et frères, comme l’avait bien compris Paul qui nomma Junia « apôtre »…

Pourtant l’un d’entre eux, plus ouvert et espiègle que ses frères, s’est appuyé sur l’interprétation de Pauline, pour son homélie du dimanche suivant. Vous pouvez la lire ici, accompagnée du texte des Actes des Apôtres.

Et comme le montre le Greco sur l’illustration remise à la messe, des femmes étaient bien présentes à la chambre haute…

Après le déjeuner, et le temps de libérer les cellules, ce fut le moment de la table ronde organisée par Clémence C., en présence de Gabrielle pour parler des limites de l’écologie récupérée par des mouvements politiques et/ou religieux. Gabrielle se fonde notamment sur le travail d’Antoine Dubiau et de son livre Ecofascismes, publié aux Éditions Grévis, en 2023, pour pointer la fascisation de l’écologie et l’écologisation du fascisme.

Trois intervenantes sont sollicitées sur les questions suivantes :

  • Présentation de votre parcours de foi et de vos engagements écologiques ou autres.
  • Comment et quand avez-vous fait le lien entre l’écologie et votre foi ?
  • Comment l’Évangile nourrit-il vos engagements ?

Marie Houdelette a participé longtemps au mouvement Coexister. Depuis son retour de voyage InterFaith Tour, elle continue de croiser différentes luttes et a rejoint le mouvement interreligieux GreenFaith.

Bertille Pena Verrier de Lutte et contemplation (association à laquelle appartient également Clémence) expose à son tour son engagement et ses suggestions.

Christophe Boureux croise ses compétences de théologien et de responsable du parc du couvent. Avec beaucoup d’humour, il présente son positionnement et ses aspirations.

Viennent ensuite des questions plus ciblées.

A Bertille : Le nom du collectif est révélateur du lien entre Lutte et Contemplation. Est-ce que tu peux nous expliquer le lien entre ces deux aspects et comment les deux s’enrichissent ?

A Marie : Comment l’aspect inter-religieux de Green Faith permet d’enrichir ton engagement pour l’écologie ? Et est-ce que tu peux voir des manques dans la religion catholique ?

Et à Christophe : Est-ce que l’Église, en tant qu’institution, apporte des réponses suffisantes et satisfaisantes face aux violences ?

Pour finir, durant l’échange avec la salle, Clémence pose la question suivante aux intervenants de la table ronde : est-ce qu’il y a un ouvrage que vous souhaiteriez partager ? La bibliographie du livret se complète par les suggestions suivantes :

  • Carolyn Merchant, La mort de la nature. Les femmes, l’écologie et la révolution scientifique.
  • Bruno Latour, Entretiens posthumes
  • Charles Stepanoff, L’animal et la mort. Chasse, modernité et crise du sauvage.
  • Jeanne Burgart et Aurore Chapon, Resisters.
  • Ainsi que le podcast « J’crois que la terre est ronde ».

Il est temps alors de clore le week-end sur un moment de prière et d’action de grâce avec le chant « Toi l’au-delà de tout ». Christine entame et joue le refrain :

Ô toi l’au-delà de tout
Quel esprit peut te saisir
Tous les êtres te célèbrent
Le désir de tous aspire vers toi

Et enfin, avant de se dire au revoir, nous chantons une nouvelle fois l’hymne « Debout les femmes ».