Lecture des Actes des apôtres au féminin, et réaction de Frère Christophe Boureux
Lors de notre week-end annuel qui s’est tenu le week-end de Pentecôte au couvent de la Tourette, les frères n’ont pas consenti à la demande de Sylvaine de lire au moins l’évangile, (ce qu’ils acceptaient volontiers il y a 40 ans), mais ils ont tout de même permis que l’une d’entre nous fasse la première lecture.
Pauline a accepté cette mission et a demandé au frère Charles si elle pouvait féminiser les pronoms personnels et les adjectifs du texte, liés à l’apostolicité. Accord obtenu pour la plus grande joie des membres du comité de la jupe mais à la grande surprise des autres frères non mis dans la confidence. Certain·es paroissien·nes ont signalé cette entorse. Ils devront peut-être apprendre que l’assemblée est constituée pour moitié de femmes et que cela ne posait pas de problème à Jésus qui accueillait de la même manière ses sœurs et frères, comme l’avait bien compris Paul qui nomma Junia « apôtre »…
Pourtant l’un d’entre eux, plus ouvert et espiègle que ses frères, s’est appuyé sur l’interprétation de Pauline, pour son homélie du dimanche suivant. Voici d’abord le texte des actes des apôtres, tel que nous l’a lu Pauline, suivi de l’homélie de Frère Christophe que nous publions avec son accord.
(Re) Lecture du livre des Actes des Apôtres Ac 2, 1-11
Quand arriva le jour de la Pentecôte,
au terme des cinquante jours après Pâques,
elles se trouvaient réunies toutes ensemble.
Soudain un bruit survint du ciel
comme un violent coup de vent :
la maison où elles étaient assises en fut remplie toute entière.
Alors leur apparurent des langues qu’on aurait dites de feu, qui se partageaient,
et il s’en posa une sur chacune d’elles.
Toutes furent remplies d’Esprit Saint :
elles se mirent à parler en d’autres langues,
et chacune s’exprimait selon le don de l’Esprit.
Or, il y avait, résidant à Jérusalem,
des juives religieuses,
venant de toutes les nations sous le ciel.
Lorsque celles-ci entendirent la voix qui retentissait,
elles se rassemblèrent en foule.
Elles étaient en pleine confusion
parce que chacune d’elles entendait dans son propre dialecte celles qui parlaient.
Dans la stupéfaction et l’émerveillement, elles disaient :
« Ces personnes qui parlent ne sont-elles pas toutes galiléennes ?
Comment se fait-il que chacune de nous les entende dans son propre dialecte,
sa langue maternelle ?
Parthes, Mèdes, et Elamites,
habitantes de la Mésopotamie, de la Judée et de la Cappadoce,
de la province du Pont et de celle d’Asie,
de la Phrygie et de la Pamphylie,
de l’Egypte et des contrées de Lybie proches de Cyrène,
Romaines de passage, juives de naissance et converties,
Crétoise et Arabes,
Toutes nous les entendons parler dans nos langues des merveilles de Dieu. »
Dimanche dernier, les oreilles de certains et certaines d’entre vous qui étaient présents ont peut-être été chatouillées, surprises voire agacées à l’occasion de la première lecture qui racontait la grande pentecôte des Actes des Apôtres. En effet, la lectrice avait mis tous les pronoms personnels au féminin. « Quand le jour de la Pentecôte arriva, elles se trouvaient réunies toutes ensemble.. il se posa comme des langues de feu sur chacune d’elles. Elles furent toutes remplies d’Esprit saint… ».
Évidemment, c’était une entorse flagrante à la grammaire du texte original : les pronoms personnels y sont tous au masculin. Mais on comprend que notre lectrice qui faisait partie du groupe féministe qui se réunissait chez nous ait voulu nous interpeller.
Alors que les femmes étaient au pied de la croix et que Pierre et les autres disciples, sauf Jean, avait fui, alors que les femmes furent les premiers témoins de la résurrection,
Pourquoi n’est-il fait mention d’aucune femme ici. Quand on connaît, dans la suite du récit des Actes des Apôtres, le rôle primordial que les femmes ont joué en accueillant saint Paul dans les différentes villes de son périple missionnaire, on s’étonne à juste titre qu’elles ne soient pas mises en scène ici. Le texte par exemple se poursuit avec saint Pierre qui prend la parole et dit « Hommes de Judée et vous tous qui résidez à Jérusalem. » Hommes ici ne désigne pas les humains en général, mais bien les humains de sexe masculin !
Bien sûr, il est légitime d’être alerté sur la place des femmes dans l’Église quand on voit encore aujourd’hui, par exemple, un haut dignitaire refuser un poste important de direction à un candidat sous prétexte que c’est une candidate, une femme, de surcroît mère de famille, on peut aussi être chatouillés, surpris voire agacés !
Plus radicalement, il est sans doute aussi légitime d’être alerté pour se demander si Dieu, Père Fils et Saint Esprit, n’est pas aussi une mère.
Bien sûr, les Écritures et la Tradition nous disent que Dieu est Père et nous ne pouvons pas changer cela. Dieu nous engendre, nous protège, nous lègue un héritage comme un père le fait dans une société à dominance patriarcale.
Mais plus fondamentalement nous sommes dans une relation de dépendance à l’égard de Dieu et dans cette dépendance une connotation féminine peut venir légitimement se glisser. Ainsi il y a une dimension maternelle en Dieu parce que nous sommes habitués à considérer que la dimension de soin, de sollicitude est plus facilement féminine. Tout cela repose nous le savons bien sur des évidences culturelles qui sont profondément ancrées en nous, qui sont utiles avec leurs limites. On n’en change pas sur un simple coup de baquette magique, en décidant du jour au lendemain de briser les stéréotypes.
Nous avons simplement le devoir de nous demander courageusement et régulièrement si Dieu n’est-il pas différent de l’image que nous avons de Lui.
En cette fête de la Trinité, nous sommes requis de nous demander si les différences qu’il y a en Dieu ne nous obligent-elles pas à nous interroger sur l’image que nous avons de Dieu. N’est-il pas légitime de ne pas avoir la même image de Dieu tout au long de notre existence ? N’est-il pas légitime que nous n’ayons pas tous la même image de Dieu qui nous protège, qui veille sur nous, qui nous apprend ce que aimer veut dire ? Dieu n’est-il pas différent pour nous-même et pour les autres ?
C’est le sens profond de ce mot Trinité avec lequel, nous chrétiens, nous qualifions Dieu. En Dieu, le Père n’est pas le Fils, le Fils n’est pas l’Esprit, l’Esprit est différent du Père et du Fils, c’est un troisième. Les trois sont différents mais ils ne sont pas multiples, ils sont un, car ils sont en communion. Dieu n’est pas l’indifférent, il aime en lui-même les différences.
Oui, chrétiens, nous avons appris de Dieu, l’unité dans la diversité, le goût des différences qui crée un lien, la pluralité des points de vue qui engendre une richesse de créativité. C’est peut-être vrai qu’un peu de féminité et de maternité dans nos Écritures et traditions pourrait faire du bien à beaucoup de paternité pour engendrer des enfants de Dieu.