En Allemagne des laïcs baptisent, en France des femmes bénissent les mariages

Chacun.e peut bénir !

Une mère qui célèbre et bénit le mariage de sa fille ? Et pourquoi Pas ? Et si c’était dans cette liberté prise par rapport à l’institution Église que se disait notre fidélité au Christ et à l’Évangile ?

Animer des temps de prière, des célébrations de la Parole, célébrer des funérailles, beaucoup d’entre nous l’ont fait et le font encore dans le cadre, la plupart du temps, d’une mission en Église mais préparer, célébrer et bénir un mariage en dehors de toute institution, de tout cadre et « Rituel » institutionnel… combien s’y sont risqué(e)s ? Et pourtant moi, une femme, épouse et mère de famille je l’ai fait.

La demande est venue de ma fille et de mon futur gendre à l’occasion de leur mariage. Alors que nous parlions de la célébration, ma fille avait déclaré : « Pas question de nous marier à l’Église où personne ne comprend plus rien ! » Cette affirmation, avec laquelle j’étais d’accord au demeurant, m’avait laissée dubitative quant à la suite des évènements. Envisageaient-ils une célébration laïque ? Eh bien non : quelques semaines plus tard, ils me demandaient de les marier ! Ils souhaitaient une célébration en dehors de l’Église certes, mais faisant une place à Dieu et à sa bénédiction, et qui soit surtout ouverte à la foi ou à la sensibilité de chacun, croyants et non croyants.

Quelle surprise pour moi : surprise mêlée de crainte et de perplexité. Bien qu’ayant une longue expérience en pastorale, je n’étais pas prêtre ! Quelle était mon autorité, ma légitimité pour les « marier » et bénir cet engagement ? Et pour quelle célébration ? Un mix de religieux et de laïc ? N’y aurait-il pas confusion ? Comment construire une telle célébration en dehors de tout Rituel ? Tout était à inventer… mais que de libertés en perspective et quelle aventure ! Alors, peu à peu, l’enthousiasme l’a emporté sur l’inquiétude.

Rassurée par la confiance de Marie et Cyril, encouragée par plusieurs âmes bienveillantes, et reconnue légitime par mon baptême, je me suis mise au travail. J’ai cherché des textes bibliques, des gestes, des paroles, des attitudes pouvant accompagner et célébrer leur engagement. De leur côté, Marie et Cyril ont choisi des textes profanes et des musiques. Nous avons échangé, partagé nos idées, nos découvertes, repris et ajusté le schéma de la célébration que j’avais bâtie.

Le mariage a eu lieu fin juin sous un soleil radieux et dans la chapelle chaleureuse et lumineuse d’une école catholique de notre ville. Après un mot d’accueil, la célébration a été rythmée par des paroles et des gestes illustrant l’amour des mariés et leur bonheur de s’engager « officiellement » ce jour-là devant une assemblée d’ami(e)s et de témoins. Les textes bibliques et profanes sont entrés en dialogue. Les paroles d’engagement et de bénédiction sont venues croiser des gestes symboliques. Celui de la lumière les a fait reconnaître comme personnes singulières, puis comme un couple. L’olivier offert en cadeau aux mariés et l’arrosage de l’arbre est venu signifier l’enracinement de leur amour, sa fécondité, sa prospérité, sa force. La bénédiction enfin était donnée sous forme d’une onction d’huile. Présente dans la Bible et dans la vie des hommes, l’huile parfumée a inscrit dans la paume des mariés et de tous ceux qui le souhaitaient la tendresse de Dieu et la discrétion de son amour et de sa présence. En effet, à la demande de ma fille l’onction a été faite aux mariés mais également proposée à tous, et j’ai été très surprise et profondément émue de voir une grande partie de l’assemblée se lever, mains ouvertes et sourire aux lèvres, pour recevoir cette onction, témoignant ainsi de la signification qu’elle revêtait pour eux aussi. Une prière universelle et une dernière bénédiction ont conclu la célébration.

Les paroles des uns et des autres à la suite de cette cérémonie « atypique » nous ont beaucoup touchés. « C’était beau, profond, simple, efficace, gai, chaleureux, émouvant, authentique, plein d’amour », compréhensible… Beaucoup de mes ami(e)s catholiques non pratiquant(e)s m’ont dit qu’ils retourneraient à l’Église « si c’était comme ça ». D’autres personnes ne fréquentant jamais l’Église ont dit être touchées, émues. La célébration a étonné et a fait parler. Elle n’a laissé personne indifférent. Elle a aussi rendu heureux. Oui c’était un beau moment, un moment important, nouveau, un moment que nous avons construit et qui nous a marqués, un moment partagé qui restera gravé en nous.

Nous avons vécu une célébration atypique, loin des schémas et des repères auxquels nous sommes habitués, mais fondée dans l’Écriture, intégrant complètement la vie humaine et respectant la singularité de chacun(e). Ceci, malheureusement, est devenu rare aujourd’hui dans l’Église. Quand j’étais en pastorale, j’étais dans un « cadre », un « système ». Je savais ce qu’il fallait penser, proposer, faire et dire, et j’y ai cru aussi. Ce système vole maintenant en éclat. L’Église est un système qui s’effondre (Charles Delhez sj, mai 2019) mais je ne suis ni triste ni nostalgique de ce qui arrive. Je crois, au contraire, que nous vivons une vraie période d’enfantement pour notre Église et surtout pour l’Évangile. Même si c’est exigeant, difficile, déstabilisant et que nous tâtonnons, il nous faut inventer de nouvelles formes d’annonce, de nouvelles formes de célébrations qui témoignent d’une vie vivante, d’une hospitalité, d’un accueil inconditionné. L’Église n’est pas une douane et ne doit jamais l’être. Il nous faut, c’est vrai, apprivoiser une liberté nouvelle et cela peut faire peur car nous avons peu de repères mais nous avons la force et l’élan de notre baptême pour oser, pour nous lancer.

Nous ne sommes pas seul(e)s non plus, d’autres cherchent avec nous, d’autres se lèvent et manifestent leur désir de changement et de réforme. Nous devons être à la fois des « veilleurs » qui veillent à ne pas laisser s’éteindre les lampes de la Parole, de la foi en Jésus Christ, de l’espérance et de l’audace, et des « éveilleurs » qui éveillent à d’autres chemins possibles. Encourageons-nous pour quitter certains lieux, peut-être confortables mais mortifères et moribonds, pour d’autres lieux, d’autres rivages sur lesquelles la vie s’épanouit. Devant la faillite actuelle de l’institution, devant les images négatives qu’elle renvoie, devant le manque de considération des femmes dans l’Église, une telle démarche de recherche et d’audace est de notre responsabilité de baptisé(e)s. Nous pourrions nous sentir coupables, un jour, de n’avoir rien osé, rien fait, rien dit. En outre, nous n’usurpons rien, nous ne transgressons aucune règle, nous honorons simplement notre vocation baptismale et notre vocation toute simple de filles et de fils de Dieu.

J’éprouve beaucoup de gratitude envers ma fille et mon gendre pour m’avoir invitée à une telle expérience. Avec leur demande, j’ai été plongée dans un bain de jouvence et d’audace, et la mesure versée dans mon vêtement est débordante ! Il est grand temps pour nous les baptisés de faire réellement nôtre la parole de Gédéon : « Va avec la force qui t’anime […] N’est-ce pas moi qui t’envoie ? » (Jg 6,14). Je vous souhaite à toutes, à tous, de vous risquer à votre tour dans ces lieux-là.

Christine Gibert