De la messe à l’Eucharistie
Faute depuis trop longtemps de n’avoir su accueillir les attentes et chercher à leur offrir un ciel et une terre, de ne pas vouloir aujourd’hui s’intéresser à ce que vivent les fidèles durant la crise sanitaire -solliciter leur « retour d’expériences » et leur demander quelle Église « d’après » ils veulent – l’Église catholique en France verra se précipiter les effondrements annoncés de ses pratiques.
Tout particulièrement du culte.
Le lien d’habitude qui l’unissait encore à nombre de fidèles s’est distendu, se distant, et cette situation va autoriser les « dispenses » de retour, les confirmer, les excuser, les encourager.
Ceux-ci vont, sans ordre forme de procès, se passer des dimanches matins où l’on s’ennuie. Ceux-là vont s’exonérer des obligations dominicales qui depuis trop longtemps ne leur offrent pas la chaleur, la ferveur, l’émotion, la complicité des liens fraternels, le plaisir de se retrouver dans la communauté qui prie.
Ceux-là encore vont trouver dans le culte retransmis ou accessible en replay de quoi satisfaire leurs demandes dévotionnelles et adoratrices, d’autant qu’ils peuvent choisir le meilleur « programme ».
Ceux-ci, divorcés remariés, vont renoncer à une messe qui leur demande, s’ils veulent accéder au corps du Christ de poursuivre une relation privé de la rencontre du corps de l’autre…
D’autres, depuis longtemps fatigués d’un culte qui attribue toujours aux mêmes les rôles d’acteurs et d’enseignants, de spectateurs et d’enseignés, s’éloigneront des dimanches paroissiaux. Ceux-ci, plus critiques, affirmeront rejeter une liturgie qui semble construite autour d’un homme formé à être vu comme sacré, se fabriquant lui-même dans son église comme sacré, et producteur de sacré. Ceux-là diront qu’ils ne supportent plus une messe confortant une ségrégation entre les baptisés, consacrant un clivage insupportable entre les sexes. Ou encore réaliseront que la liturgie actuelle pourrait bien, de fait, jouer un rôle non négligeable dans un système qui produit crimes sexuels et abus spirituels, mais aussi des modalités de rapport entre les baptisés profondément inégalitaires et stérilisants .
Pour ces baptisés le repas du seigneur, le repas eucharistique, n’est pas la messe, n’est pas le culte du dimanche matin. La messe telle qu’elle est dite caricature, déforme, estiment-ils, ce que l’Église cherche à être. Elle n’est pas l’expression d’une vision renouvelée de l’Église. Elle n’est pas “source et sommet” de la vie chrétienne. Elle n’offre pas la nourriture spirituelle qu’ils cherchent. Elle ne les fait pas entrer dans le dialogue avec Dieu, ni dans une autre manière de vivre leur vie.
Mais de ces derniers, l’Église semble ne pas vouloir se soucier. Elle les choque, les heurte, les blesse même, par son obstination à demander la poursuite du culte comme s’il était le « tout » de la vie chrétienne, et à le faire avec des arguments empruntés aux cercles les plus conservateurs.
Pourquoi ce refus de débattre avec des baptisés fidèles, engagés, souvent formés ? Parce qu’ils appartiennent à une génération « critique », émancipée ? Parce-que finalement tout un épiscopat fait le choix tacite de se passer d’une génération remuante qui veut poursuivre un Concile inachevé ? Parce que l’Église ne voit son avenir que dans l’attente d’une « restauration » tranquille, pieuse et docile ? Ou bien, paniquée, s’accroche à ce qu’elle connaît et la faisait hier triomphante ? Croit-elle vraiment que l’avenir, c’est le retour à hier fut-il désiré par de plus jeunes fidèles, séminaristes et prêtres ?
Le silence des autorités sur les questions qui touchent à ce qu’est et ce à que fait la liturgie, interroge. Si la liturgie fait l’Église, l’Église doit entrer en dialogue avec celles et ceux qui veulent, non un culte, non des messes dévotionnelles et cléricales, mais aller de la messe à l’Eucharistie, de la messe au repas eucharistique.