Espérez ! 

Manifeste pour la renaissance du christianisme,

Christine Pedotti, Anne Soupa,
Paris, Albin Michel, 2022, 204p. 15,90€

Peut-on encore espérer dans un monde où les défis sociétaux paraissent insurmontables ? L’injonction optimiste qui nous invite à « croire », tout au long du quatrième évangile, a-t-elle encore une pertinence aujourd’hui ?
Christine et Anne viennent nous réveiller et nous préviennent d’emblée : « si nous ne revenons pas comme des premiers chrétiens, nous serons les derniers ». Alors ? Alors c’est certain, il faut changer d’attitude. Ni baisser les bras, ni vouloir obtenir des réformes ponctuelles, mais se situer autrement. Et pour cela, revenir à la source. Cet impératif du titre va au-delà de l’incitation à espérer. C’est une énergie qui nous est insufflée, cette « dunamis » qui guide vers la conquête, une manière de nous crier « en avant ! l’amour, la joie sont devant nous, pour nous ! »
Comme une « boussole », sept chapitres nous orientent dans cette direction à travers des pistes sobres. Il convient cependant de diagnostiquer d’abord l’état ambiant de crise d’espérance, et pour cela de poser un premier constat : la société contemporaine déchristianisée ne fait plus guère de distinction entre l’espoir et l’espérance. Déçue dans son attente de « lendemains qui chantent », elle n’a plus d’idéal et pas davantage de vision d’un Royaume auquel elle ne croit plus guère. Beaucoup de gens se sont écartés des religions chrétiennes « parce qu’ils n’y retrouvent pas cette source vivante dont ils soupçonnent
cependant l’existence » (p.14). Pire, à force de corrompre son message, le christianisme attire la défiance. Or tout dans l’Evangile nous enseigne la joie, l’abondance, la prodigalité. « Le christianisme n’est pas une ascèse ». Il sait redonner courage et enthousiasme car « quand à vue humaine, à portée de raison, tout semble perdu, le christianisme ose dire que ce n’est pas la fin de l’affaire. » (p.19).
C’est pourquoi les deux autrices nous invitent à « choisir Jésus ». Le choisir, c’est d’abord le reconnaître et découvrir « qu’il ne se trouve pas dans un énoncé dogmatique mais dans une relation intime et dans une expérience personnelle ». (p.22). Ensuite, hors de question de prendre Jésus pour un but, une fin en soi à laquelle il suffirait d’adhérer à distance : le Christ est un compagnon de route, Celui avec lequel on chemine parce qu’il vient, le premier, à notre rencontre. Il est surtout Celui que rien n’arrête, pas même la mort. Pour le suivre, il faut donc accepter de quitter nos certitudes et notre stagnation pour « redevenir nomades ».
Dans un quotidien alourdi par les contraintes, nous perdons notre liberté de mouvements, d’étonnement, notre goût de l’aventure. A la différence du Bouddha raconté comme un homme statique qui cherche à se tenir présent à lui-même, le christianisme offre une tension plus complexe, à la fois « désir de s’habiter soi-même, d’être en communion avec son être profond et désir de se projeter vers un autre endroit, un autre temps, vers d’autres relations » (p.56). Car « c’est en marchant que nous nous trouvons » remarque Christine Pedotti. Mais la route n’est pas tracée d’avance ; nous demeurons libres. Ce sera l’objet du chapitre 5 qui nous enjoint de « Chérir la liberté » plutôt que de s’emprisonner en soi-même au point de douter de la liberté elle-même, comme le font tant de complotistes. Certes les institutions religieuses ont entravé ces élans de liberté prônés par le Christ, mais une relecture de l’histoire du « jeune homme riche » prouve à quel point Jésus entend et respecte le choix de chacun, même quand il s’agit de se détourner de l’amour de Dieu.
Le changement de posture auquel nous sommes conviés, nous incite à transformer notre « désir de posséder en désir de devenir » (p.57). Cela requiert de bien se définir soi-même. L’humanité est une histoire de relation et donc d’altérité : par rapport à Dieu, et entre hommes et femmes, non pas créés dans un lien de subordination mais dans un vis-à-vis constructif.
En revenant au quatrième chapitre, une touche de poésie nous montre comment « laisser Dieu nous échapper » au lieu de tenter de le cerner pour l’instrumentaliser. Il importe de disqualifier un « Dieu des normes » omniscient, omnipotent, au profit de Celui dont on peut surtout dire ce qu’il n’est pas. C’est le choix apophatique des grands mystiques. Il nous faut donc le chercher ailleurs que dans des dogmes et être attentifs à ceci : « il y a en chacun de nous un désir qui le dépasse, (…) un désir de respirer dans un souffle plus ample que lui-même, peut-être dans cette légère brise, ce ‘fin silenceˮ dont l’histoire d’Elie apporte l’expérience. Dieu n’est pas cette légère brise ni ce fin silence, mais c’est là que notre désir est rencontré, que notre désir est désiré » (p.100).
Le chapitre Six aborde la rude question du mal en posant l’effrayante question : la mort de Jésus a-t-elle changé quelque chose ? « Nous négocions toujours nos actes comme nous le pouvons entre notre liberté de conscience et nos déterminismes » (p.127). Mais contre la déception de l’impuissance, il faut accueillir « la certitude de l’engagement total de Dieu contre le mal et l’obligation de travailler (…) pour le faire reculer dans le monde »  (p. 128).
Pour cela, il importe de le reconnaître et de le nommer. Quant à la Passion, regardons-là comme une pleine illustration de « nos désarrois, nos abîmes, nos tragédies et parfois nos victoires » (p. 132). Comme guide, nous avons la croix du Christ qui nous rappelle que Dieu se tient jusque dans l’absolue faiblesse et qu’à partir de cet abaissement, nous sommes toutes et tous « happés dans une fraternité universelle qui ne connait aucune exclusion au point de
préférer la vie de l’autre à la mienne » (p.141). Nous serons, nous sommes, toutes et tous sauvés.
Grâce à une telle espérance retrouvée, il devient possible d’ « aimer l’avenir », objet du dernier chapitre. L’assurance que toutes les épreuves se traversent, la promesse d’un ciel nouveau, « loin de provoquer une résignation ou une paralysie, changent radicalement la façon de vivre le présent » (p.148). Cela doit nous donner « la capacité et le désir de relever tous les défis » (p.152). Au point de proposer en annexe quelques regards acérés sur des « points sensibles », comme la sexualité, le début et la fin de vie, le pouvoir…
Mieux que tous les fortifiants que nous vantent les pharmacies, l’enthousiasme de Christine Pedotti et d’Anne Soupa, nous imprègne d’une immense envie de crier la joie de vivre, de transmettre et de partager notre foi. En ces temps moroses de début d’automne, sur fond de guerre, de crises de tous ordres, ce manifeste pour la renaissance du christianisme apporte la chaleur d’une douce et saine lumière. Une musique enfle quelque part au fond du cœur : « en avant ! » (dans le mien elle se chante en italien, entre le Va pensiero et Avanti popolo).

Sylvaine Landrivon