Femmes : pourquoi le christianisme est-il différent des autres religions ?

Femmes : pourquoi le christianisme est-il différent des autres religions ?

Au centre de l’investigation de Véronique Decrop, les écrits gnostiques

J’ai découvert avec beaucoup d’intérêt Le Comité de la Jupe après avoir écouté par hasard Anne Soupa au 28’ d’Arte (30 juin 2020). Je suis, comme bon nombre de nos concitoyens, de culture catholique même si j’ai pris mes distances avec l’Église depuis longtemps déjà à cause de sa désespérante misogynie. Mais si je ne me sens plus guère catholique, je demeure une chrétienne convaincue.

J’ai pris conscience de la chance d’avoir grandi dans une culture chrétienne à l’étranger, plus précisément en Asie du Sud Est, où j’ai vécu près de 15 ans. Rien de tel sans doute que de prendre du recul sur sa culture pour en avoir une meilleure vue d’ensemble et d’en sentir la richesse et la profondeur ! Avant d’être chrétienne j’étais (et je suis toujours) féministe et c’est à l’aune de ce critère que je juge une société.
Dans la société bouddhiste, les femmes n’ont pas moins d’aspiration à l’égalité que les femmes occidentales mais les mouvements féministes n’existent pas, n’ont jamais existé. C’est une constatation que nous pouvons appliquer à toutes les sociétés traditionnelles, me semble-t-il.

Je me suis demandé pourquoi les mouvements féministes (et plus largement tous les mouvements antiracistes) n’avaient pu voir le jour que dans le seul l’Occident. Je crois que la raison vient du fait qu’il n’y a rien dans les fondements de la culture bouddhiste (et encore moins assurément dans les cultures musulmanes) qui légitime la revendication égalitaire. À partir de là, les femmes ne trouvent aucune aspérité sur laquelle s’agripper, poser le pied ou la main, pour imposer une légitime réclamation.
Pour pousser un peu la métaphore, les religions et les cultures patriarcales sont sur ce point particulier comme une muraille lisse qui n’offre aucune prise à l’alpiniste. Le christianisme présente en revanche la chance exceptionnelle d’avoir à son fondement Jésus Christ et sa parole, même si les religions chrétiennes s’appuient au moins autant (voire davantage selon les époques) sur Paul dont les affirmations peuvent s’inscrire sans vergogne à l’opposé de celles de Jésus.

Quand je suis rentrée en France après cette longue période de recul (et aussi probablement pour avoir eu le privilège d’avoir sous les yeux l’exemple d’un père jésuite de très haute volée, Pierre Ceyrac, car je travaillais dans son équipe) j’ai étudié de plus près ma propre culture en passant un certificat de sciences humaines des religions à la Catho de Marseille. C’est à cette occasion que j’ai découvert des auteur(e)s qui m’ont permis d’affiner mon propre positionnement « idéel ». Parmi ces auteurs, vient en tout premier lieu Françoise Gange (qui ne figure d’ailleurs pas parmi les recommandations de la Catho) qui m’a fait découvrir notamment les écrits gnostiques. J’ai découvert qu’ils sont loin de l’image ridicule qu’en donnent les églises officielles (à bon droit pour certains d’entre eux, qui manient un merveilleux douteux, mais parfaitement injustifiée quand il s’agit de mettre dans le même sac des écrits aussi fondamentalement différents que l’Évangile de Thomas ou celui de Marie avec le Protévangile de Jacques ou l’évangile du Pseudo-Thomas par exemple). Passionnant est le refus par ces écrits gnostiques du dualisme, à commencer par celui de la chair et de l’esprit (à l’opposé de la position des églises officielles), pour affirmer au contraire la recherche de l’unité. Passionnant encore et surtout de découvrir leur volonté de réhabiliter le féminin déprécié dans les cultures patriarcales et d’en faire le centre du message du Christ.
L’unité entre le féminin et le masculin est posé comme une étape indispensable de l’épanouissement de l’être. « Quand vous ferez le deux Un, et le dedans comme le dehors, et le dehors comme le dedans, et le haut comme le bas, afin de faire le mâle et la femelle en un seul – pour que le mâle ne se fasse pas mâle et que la femelle ne se fasse pas femelle […] alors vous irez dans le Royaume. » (Evangile selon Thomas, logion 22, P 36, Ed. Dervy-Livres)
Françoise Gange synthétise parfaitement la démarche gnostique : « On sait que les gnostiques considéraient le règne de Yahvé comme équivalent à une chute dans la matière, à une perte de la spiritualité par privation de l’âme féminine du monde. Cette privation d’âme étant consécutive à la démonisation du féminin. » (Jésus et les Femmes, p. 184. Éd. Parole d’Aube La Renaissance du Livre, 2001) Et elle affirme : « De nombreux indices permettent ainsi de penser que le message de Jésus était peut-être, avant tout, un message de réconciliation du masculin et du féminin, jusqu’alors si rigoureusement séparés par la religion patriarcale judaïque […] » (p. 56) – et nous pouvons ajouter par toutes les cultures patriarcales allant pour certaines jusqu’à l’apartheid des sexes.

Le nœud fondamental problématique de l’être humain est le rapport de l’Un à l’Autre et le message du Christ porte évidemment sur ce point central. Je suis moi aussi persuadée, comme Françoise Gange, que la ligne de partage fondamentale entre l’un et l’autre est posée par la différence des sexes. L’autre du sexe opposé n’est-il pas à la fois le plus différent de soi mais aussi le plus proche, celui/celle avec qui nous partageons le même toit, le même lit, la même vie quotidienne… ? La relation entre les sexes n’est-il pas le creuset de notre rapport à l’Autre, à tous les autres à chaque fois différemment différents, pouvant soit s’orienter vers une vision de l’autre dangereux, ennemi, devant être possédé, ou au contraire vers une vision ouverte à la différence, à l’aventure, celle qui nous permet d’accéder au « Je » par la reconnaissance du « tu » ? Le sexisme n’est-il pas le creuset de tous les racismes ?

Si tel est bien le cas du message de Jésus, combien est grande la trahison des Églises chrétiennes qui n’accordent aux femmes qu’un petit strapontin tout au fond de l’église (ou même plutôt à la sacristie entre la serpillière et le balai) !
Je me réjouis de l’espace de dialogue que semble offrir Le Comité de la Jupe et que j’espère fructueux.

Véronique Decrop