Le sexisme dans les homélies : c’est non !
Je m’appelle Rozenn Hany, j’ai 25 ans. Je suis chrétienne et engagée politiquement pour diverses causes, de l’accueil des exilé·es à l’écologie, en passant par la lutte pour la liberté et le droit des femmes. Ce dernier combat est sans doute celui qui m’est le plus intime, celui qui me bouleverse le plus.
C’est aussi celui qui m’a longtemps éloignée de ma foi lorsqu’adolescente, je fus confrontée à des postures et des discours haineux envers les femmes de la part de prêtres et plus largement de membres -laïcs comme religieux, et ce jusqu’au Pape- de l’Eglise catholique.
Plusieurs endroits (chrétiens et non-chrétiens), plusieurs rencontres m’ont depuis permis d’apaiser ma haine – qui manquait de justesse et condamnait ma foi à s’éteindre – vis-à-vis du christianisme, mais je garde précieusement une colère contre le sexisme propagé au sein de l’institution catholique, colère que je considère fructueuse et que j’espère un jour devenir victorieuse. Cette colère est avant tout une soif de justice, une réponse à la violence d’un monde. Elle porte l’exigence que puisse enfin régner la justice sociale pour toutes et tous comme l’appellent inlassablement les Evangiles. Une justice sociale comportant donc une dimension divine pour laquelle je lutte chaque jour en tant que chrétienne, m’appuyant sur ma foi et sur mes convictions politiques que je vois comme intrinsèquement liées ensemble.
Ainsi, ma pratique religieuse s’ancre sur les principes suivants :
– oser vivre pleinement ma foi en Dieu et en Jésus Christ, où que je sois, quand bien même celle-ci doit s’exprimer au sein d’une institution qui comporte bien des travers et qui trop souvent, menace la justice et me met en colère
– oser défendre la justice, partout et tout le temps, avec une attention particulière pour la justice des femmes et des minorités de genre/de sexualité, y compris au sein de l’institution religieuse et politique qu’est l’Eglise catholique
En conséquence, je suis tout à fait favorable et même très attachée à la dimension politique que peuvent avoir les homélies prononcées par les prêtres. Elles sont pour moi un moment puissant, où je sens la force du lien entre mes combats au sein de la société et ma foi en un Dieu porteur d’Amour et de Justice. En ce sens, il me paraît inacceptable et vivement condamnable que cet espace puisse être le lieu d’une quelconque injustice.
Ce fut pourtant le cas en ce dimanche 3 mars 2024, où un prêtre de ma paroisse des Hautes-Alpes a usé de sa place pour vomir des inepties à l’encontre du féminisme et du mouvement social de mai 68. Rappelons tout d’abord que mai 68 a avant toute chose impulsé l’émancipation de bien des femmes, leur conscientisation de la domination masculine et la libération de leur pensée, de leur vie trop souvent enchaînée. Un mouvement au sein duquel
s’exprimait une certaine forme de justice en somme.
Pourtant, son homélie a avancé l’idée selon laquelle le slogan « il est interdit d’interdire » supposément propre à mai 68 aurait fait des ravages et provoquerait aujourd’hui encore « des problèmes préoccupants« . Cette première déclaration illustre une bien regrettable méconnaissance du prêtre concerné vis-à-vis du mouvement social qu’il dénonce. Je me retrouve donc face à l’obligation de le corriger. En effet, « il est interdit d’interdire » a été faussement rattaché à mai 68 dans l’objectif de décrédibiliser le mouvement, alors même qu’aucune pancarte, qu’aucun tag, qu’aucun discours portés lors de ces manifestations ne comporte ce propos (Plenel, E. (2003). Secrets de jeunesse. Editions Stocks, p.195). Il s’agit donc tout bonnement d’une idée reçue, construite dans l’objectif de nuire à un mouvement féministe et d’en discréditer les victoires.
Aussi, je trouve indigne qu’un prêtre ose bâcler à ce point son travail de recherche et d’écriture en relayant ce genre d’idées fausses pour servir sa pensée (sexiste en l’occurrence) et ce, alors même qu’il profite d’un espace d’expression privilégié (les homélies), d’une légitimité privilégiée (la posture de prêtre) et d’une mission privilégiée (commenter les Saintes Ecritures en vue d’instruire les fidèles). Au-delà ou bien de son irresponsabilité, ou bien de sa malhonnêteté, ce prêtre a poursuivi dans le registre de l’injuste et du sexisme en discourant à l’encontre de la libération des corps et de la pratique de l’avortement – faisant sans doute subtilement écho à la bienheureuse actualité politique, protégeant le droit et la liberté de recourir à l’avortement en l’inscrivant dans la Constitution française !
Si je comprends tout à fait le fait qu’une femme puisse refuser de recourir personnellement à l’avortement pour une raison quelconque, y compris religieuse, je refuse en revanche catégoriquement qu’une messe puisse être le lieu du jugement des femmes faisant un autre choix. Je refuse qu’un homme, qu’il soit prêtre ou non, puisse se permettre de moraliser des femmes et leurs actes intimes, dans la mesure ou cet homme ne connaîtra jamais dans sa chair la violence du sexisme et que de ce fait, son avis sur le sujet doit être d’emblée disqualifié. Je refuse d’être privée de la pratique de ma foi, de ma participation à la messe, de ma volonté de communier, à cause d’un homme et de ses propos sexistes. Je réclame le droit de pouvoir prier Dieu dans un espace sécurisant, qui ne m’attaque pas, qui ne m’agresse pas.
Je demande donc au prêtre en question (à qui ce texte a été envoyé) de prendre conscience de la violence de ses paroles prononcées ce dimanche, paroles qui m’ont poussée à sortir précipitamment de l’église et m’ont empêchée de communier. Je lui demande également, ainsi qu’à tout prêtre susceptible de me lire, de faire correctement son travail, d’assurer avec sérieux sa mission, d’abandonner son ton moralisateur et de cesser d’avoir des paroles porteuses d’injustices et de violences.
Messieurs les prêtres, si vous voulez faire de la politique lors de vos homélies, faites ! Mais profitez-en pour rendre justice aux pauvres, à la création maltraitée et aux humain·es exclu·es de notre monde ! Ainsi peut-être pourriez-vous avoir un discours chrétien un peu plus digne des Evangiles.
Tâchez enfin de vous rappeler que les dernières seront les premières.
Rozenn Hany