Les leçons de Béthanie

Les leçons de Béthanie

Les leçons de Béthanie, De la théorie à la pratique, de Sylvaine Landrivon, Éditions du Cerf, février 2022, 253 p.

Pour deux raisons, le livre de Sylvaine Landrivon est de ceux que l’on n’oublie pas. D’une part, son contenu est riche et multiple. Que ce soit sur le plan biblique ou sur le plan ecclésiologique, il nourrit, et nourrit bien. D’autre part, Sylvaine ose proposer une hypothèse nouvelle (que je ne révèlerai pas ici !) à propos de deux figures féminines de l’évangile de Jean, Marie, sœur de Marthe et de Lazare, et Marie la Magdaléenne qui, au jardin, a été le témoin privilégié de la résurrection de Jésus.

Dans ce livre d’une lecture aisée malgré sa richesse, je reconnais deux qualités fortes que j’ai souvent éprouvées et appréciées chez Sylvaine : la compétence et l’audace.

Comme son titre laisse un peu deviner, l’objet de ce livre est de partir des évangiles (Béthanie est un lieu fréquenté par Jésus à cause d’une famille amie, composée de Lazare et de ses deux sœurs) et de montrer le parti que l’on aurait dû depuis longtemps en tirer dans la vie de l’Église, en particulier dans l’organisation de l’institution. Dans les évangiles, en particulier chez Jean, les femmes sont nombreuses et extrêmement performantes, avec de grandes figures comme la Samaritaine, Marthe et Marie, Marie la Magdaléenne. Leurs rencontres avec Jésus débouchent sur de belles et profondes avancées théologiques. Mais les commentateurs masculins, s’ils ont, en bonne part, exploité le capital généré par ces rencontres, n’en n’ont qu’exceptionnellement fait crédit aux femmes. Ils ont préféré valoriser une Marie mère de Jésus silencieuse et soumise, et limiter le rôle de Marthe et Marie à des querelles domestiques. Toutes les autres femmes étant des « femmes de mauvaise vie », extrapolation pitoyable qui dit, en creux, la frustration masculine des clercs…

Sylvaine Landrivon montre que cet aveuglement a fait perdre la force propre du discours de ces femmes. C’est à partir de cette sorte de reconquête que les femmes d’aujourd’hui devraient refonder leur dignité, leur vraie place dans cette « société de fidèles » qu’est l’Église. Et de là, apprendre à argumenter pour une reconnaissance institutionnelle à part entière.

La seconde partie, très opérationnelle pour argumenter face à un curé « qui ne voit pas le problème », traite donc de la « pratique ».  À partir de la vie concrète des premières communautés, Sylvaine montre combien, au regard de l’histoire du christianisme, les femmes sont légitimes. Comment, par exemple, donner crédit à la thèse d’une Église conduite par des hommes seulement quand on sait que pendant trois siècles, les communautés se sont rassemblées dans des maisons, où les femmes étaient en position dominante ?

En pendant de ces éclaircissements salutaires, toujours évoqués avec précision et concision, Sylvaine a rappelé les initiatives récentes de femmes, celles de Christine Pedotti et moi-même, qui ont conduit à la naissance du Comité de la jupe, celle de ma candidature à l’archevêché de Lyon et celles, en juillet 2020, de 7 candidates à des charges interdites aux femmes. Parmi les 7 figurait Sylvaine, prête à devenir évêque. Et, se donnant tout de suite un « terrain » d’annonce de l’Évangile, Sylvaine a choisi le virtuel en créant et en animant https://e-diocese.fr/. Là, elle est déjà évêque !

En somme, Les leçons de Béthanie est le livre d’une universitaire qui, devenue militante, met à la disposition de tous et de toutes ses compétences et, peut-être aussi, une belle audace longtemps réfrénée par une institution frileuse et peu ouverte à une vraie promotion des femmes. Un livre riche, nécessaire dans une bonne bibliothèque féministe.

Anne Soupa