Pape François : « Un temps pour changer », sauf pour les femmes

Dans « Un temps pour changer », l’ouvrage du pape François paru le 3 décembre, une dizaine de pages sont consacrées aux femmes. Au menu, louanges appuyées et restrictions insistantes sur leur place dans l’Église catholique. Comme toujours, la louange ouvre le bal. C’est mauvais signe ! Le présupposé est le suivant : les femmes ont été plus durement que les hommes touchées par la pandémie et pourtant, elles ont mieux résisté. Quelle est leur recette ?, demande le pape. Prenant appui sur les exemples de femmes économistes, il relève qu’à compétences égales, elles témoignent, « par leur sens maternel », du souci de la Création et des pauvres. Tout cela, dit le pape, renvoie aux priorités de l’Évangile et à la doctrine sociale de l’Église.

Le discours du pape prend alors une tonalité plus inquiétante. Il y aurait « des tentations qui peuvent nous conduire à des impasses ». Ne croyons pas, dit le pape, qu’il faille « nécessairement (en italiques dans le texte) nommer des femmes à des postes de direction ». Certes, dit le pape, le leadership des femmes est légitime (dans l’Église aussi ?). Seul l’excès est une erreur. Pourtant, en dénonçant haut et fort l’excès, le pape avoue qu’il suspecte la norme. Il faut, dit-il, « trouver d’autres moyens de permettre aux thèses des femmes de remettre en question les thèses existantes ». Déjà, l’observateur s’interroge. Si le gouvernement de l’Église dysfonctionne, pourquoi ne pas le réformer ? Pourquoi imposer aux femmes qui n’y sont pour rien, des chemins très détournés pour accéder à des responsabilités ?

C’est que…. si l’on fait entrer les femmes dans le système qu’elles sont chargées de contester, leur capacité novatrice sera dénaturée. Les femmes sont des visionnaires, parce qu’elles ont, dit-il, « l’expérience de la périphérie ». Mais une fois arrivées au pouvoir, elles risquent de perdre l’acuité de leur regard. Donc, en bonne logique, les femmes doivent rester loin du pouvoir. J’ai eu plusieurs fois l’occasion de constater que cette capacité décrite par le pape est celle de tous les exclus qui, du lieu même de leur exclusion, voient ce qui ne va pas. Tous les exclus de la terre sont des visionnaires du disfonctionnement car ils le vivent dans leur chair. Aussi, il y a quelque chose de spécieux à dire à des exclus -dont font partie les femmes- que l’exclusion qui leur donne cette distance critique est salutaire. Qu’il ne faut donc rien changer parce que l’on se priverait de leur diagnostic. Terrible et inquiétant constat… La solution ? « Créer des espaces où les femmes peuvent diriger, mais d’une manière qui leur permette de façonner la culture, en veillant à ce qu’elles soient valorisées, respectées et reconnues ». La manière ? Par la voie de l’«infusion », en étant, de surcroît, consultantes, afin de « préserver leur indépendance ». Mais comment imaginer un seul instant que, dans une Curie remplie de loups déguisés en agneaux, quelques femmes (vraiment pas nombreuses !), consultantes de surcroît, puissent obtenir un quelconque changement ? L’« infusion », énième hochet aux mains de Rome, n’exposerait-elle pas les femmes à un vrai danger ? Un sachet de thé dans une tasse vit moins de 5 minutes et finit toujours à la poubelle.

Malgré toute la sympathie que m’inspire le pape François, je ne peux que contester, à la fois un diagnostic qui, par un jeu de l’esprit, assigne les femmes à rester en état de minorité à vie, parce que c’est leur regard minoritaire dont on a besoin, et la méthode qui envoie des femmes au front sans pouvoir ni bouclier. Et je trouve grave qu’un pape qui a suscité tant d’espérance soit encore aveuglé par une vision instrumentalisée des femmes. Comment peut-il ne pas voir que les femmes sont ses égales en tout, et que le surplomb dont il use est un abus ?

La chute de son propos, qui est dans la logique de son choix pour « l’infusion », est plus dure encore. Il accuse ceux et celles qui demandent l’accès des femmes à la prêtrise de favoriser le cléricalisme, défini par lui comme « abus du sacerdoce ». Cela revient à reprocher à des femmes d’être responsables du malheur causé par ceux qui abusent d’un pouvoir dont elles ne disposent pas. La porte se ferme, et avec des accusations que je trouve très injustes.

Après l’exposé des ces motifs, point n’est besoin d’être grand clerc -ni homme, pour une fois !- pour voir que le pape donne des gages à ses turbulents conservateurs. Il calme le jeu. Mais voit-il le problème des femmes, ou ne peut-il le traiter ? Une certitude, seule, se dessine : il se passera rien sous l’ère François en ce qui concerne les femmes.

Anne Soupa