“Plaidoyer pour la juste place des femmes dans les instances décisionnelles de l’Église”

L’action catholique des femmes est une association fondée par Jeanne Lestra en 1901, elle se définit comme une association catholique et féminisme dont L’objectif est la promotion individuelle et collective des femmes dans leur vie personnelle, chrétienne, sociale et professionnelle. Depuis longtemps elle constate un ressenti très fort à propos de “l’insuffisante participation des femmes aux décisions de l’Eglise”. Mais après l’élection du pape François en mars 2013 et ses propos sur la place des femmes1, elle se lance dans une étude d’envergure sur cette place qui aboutit, en 2015, à la rédaction de ce plaidoyer.

Son écriture collective repose sur les réponses d’un questionnaire envoyé à plus de 4000 personnes, des interviews ainsi qu’un mur de parole. Il ne s’agit pas d’un travail universitaire biblique ou théologique mais d’un plaidoyer de l’Acf pour que “les femmes accèdent à part égale avec les hommes aux instances décisionnelles de l’Église”. Il se déploie sur 4 chapitres : l’alliance (1), se former et former (2), les discrimination dans la liturgie (3) et enfin, l’accès des femmes aux ministères (4)

1. L’alliance

L’Acf récuse le terme de complémentarité. Ce terme implique que le comportement de l’un complète celui de l’autre, que l’un ne va pas sans l’autre. L’un fort, l’autre faible, l’un actif, l’autre passif, l’un favorisant la raison, l’autre les sentiments. Or cela entraine bien souvent une discrimination car c’est la loi du plus fort qui prévaut nous rappelle Emmanuel Mounier, or c’est “ bien souvent au bénéfice de l’homme et donc au détriment de la femme, la complémentarité impose des droits et devoirs qui diffèrent selon les sexes.” Les termes collaborer – être partenaire – et alliance sont préférés et semblent d’ailleurs plus appropriés à la traduction des textes de la Genèse – souvent mis en avant pour rappeler aux femmes leur “condition naturelle” de “seconde” et “d’aide” à l’homme.

L’Acf n’entend pas par “génie féminin” une simple vocation à la maternité et à l’attention particulière aux autres (comme encouragé par Jean Paul II et la mariologie). Le terme génie est synonyme de “talents”, “don”. Or “les femmes peuvent offrir de la même façon que les hommes leurs dons intellectuels, spirituels et pastoraux et pas uniquement ceux qui s’expriment dans la maternité et la virginité”. Il suffit pour s’en convaincre de se référer à une grande sainte comme Mère Térésa, mère spirituelle, infirmière, enseignante et travailleuse sociale pour s’en convaincre. A cela elle préfère parler de “génie humain” auquel nous sommes tous appelés de par notre baptême.

L’Acf propose le terme d’alliance : c’est à dire d’une union contractée par engagement mutuel et réciproque. Marie fut associée par son “oui” à la mission de Dieu et à celle de son fils n’est-elle par une partenaire authentique de l’Alliance entre les hommes et Dieu ? La lecture de la Génsèse 2,23 qui évoque pour la 1er fois une femme évoque un secours ‘ezer’ et implique une réciprocité, un assortiment, plus tard dans le texte une alliance mais pas un élément de subordination. Hommes et femmes sont partenaires et sont invités à être co-créateurs. Le baptême – qui est le même pour tous et toutes – nous invite à la même vocation prophétique, sacérdotale et royale, sans domination de l’un sur l’autre en fonction de son sexe.

2. Se former et former

L’Acf demande un libre accès de tous aux formations et la possibilité pour tous d’enseigner à compétence et capacité égale. Il existe de grandes théologiennes à travers l’histoire et même des doctoresses de l’Eglise comme Thérèse d’Avila ou Catherine de Sienne. En réservant un certain nombre de formation au seul sexe masculin, l’Eglise se prive de nombreux talents.

L’Acf demande que les formations de séminariste soient aussi ouvertes à des professeuses et intervenantes femmes.

L’Acf souhaite encourager la formation des femmes pour qu’elles puissent participer activement à la formation du peuple chrétien, éduquer et enseigner.
Si une femme est formée elle doit pouvoir acceder à des postes de responsabilité similaires à celles des hommes formés. Or il existe peu de postes ouverts aux femmes. De quoi l’Eglise a-t-elle peur ? Une Eglise comprenant des femmes et des hommes éclairés n’est-elle pas une Eglise plus vivante et plus à même d’annoncer l’évangile ?

3. Les discriminations dans la liturgie

Le lectorat et l’acolytat : Depuis ce texte l’acolytat et le lectorat on été ouvert aux femmes mais l’Acf revendique cette ouverture en 2015.

Les servantes d’assemblées : Cette fonction est discriminatoire (elle éloigne les filles et femmes du choeur et instruit une hiérarchie entre laïcs baptisés) enfin, elle ne correspond plus à la volonté de l’institution qui rappelle en 2004 que les “filles et femmes peuvent être admises à ce service de l’autel, au jugement de l’évêque diocésain…”2
Le père Jacques Rideau rappelait nous invite à distinguer l’anthropologie de la théologie. La différence des sexes ne peut entrainer une discrimination liturgique de cette importance.

Les femmes annoncent la Parole. L’Acf rappelle que :
– Marie fut la première appelée ;
– les femmes sont à l’origine de la découverte du tombeau vide ;
– elles sont les premières à qui apparait le Ressuscité ;
– et sont les premières (encore!) à être chargées de l’annonce de la Résurrection.
En ce sens, la prédication ne devrait pas leur être interdite.

L’ACF appelle à une unité des pratiques dans l’Eglise de France et s’alarme du recul de la place des femmes et filles dans la liturgie.

4. Les ministères

Ces derniers sont fermés aux femmes depuis Mulieris Dignitatem de Jean Paul II (1988), qui reprend les arguments de la déclaration Inter Insigniores (1976). La discussion semble fermée depuis 1994 et la lettre apostolique Ordinatio Sacerdolatis.

Cependant l’Acf reprend à son compte 3 arguments et appelle à une dissociation entre la vocation et le pouvoir qui en découle : “Ce ne sont pas les honneurs et les titres que nous recherchons puisque nous sommes engagés comme baptisé-e à servir et faire grandir notre Eglise”.

  • L’argument de la ressemblance :
    • la distinction entre “in personna Christi” et “in personna Ecclesia” :
      l’un sous-entend que le prêtre agirait “à la place” du christ et l’autre “au nom de” … La place peut être sexuellement catégorisée, mais hommes et femmes par leur baptême peuvent agir “au nom de”.
    • Le Christ est aujourd’hui céleste, il ne peut être sexué, on peut alors se demander si ce n’est pas toute l’humanité, femmes et hommes qui sont du Christ et en Christ et donc appelé à lui ressembler.
  • Le mot ministre vient du mot grec diakonos, serviteur, il est à la fois masculin et féminin. De plus qui de plus à l’aise avec la notion de service qu’une femme ? n’est-ce pas à cela qu’on l’attribue “naturellement” ?
  • L’Eglise doit discerner les signes des temps. Jean XXIII disait en ce sens “ l’évolution récente de la place des femmes dans la société est un signe des temps”. En ce sens, comment la grande majorité des femmes continuera-t-elle à accepter d’être éloignée des instances de l’Eglise ? N’est-ce pas là un danger pour l’éducation chrétienne et l’évolution de la foi quand on sait que ce sont ces mêmes femmes qui sont les premières à éduquer leurs enfants dans la religion. Le Père Moingt affirme même que cette négligence envers cette évolution de la place des femmes “compromet gravement l’avenir du catholicisme”.

L’Acf encourage les forces de propositions et demande l’ouverture du diaconat permanent en faveur des femmes.

Il y a une dissonance entre l’investissement colossal des femmes pour faire vivre l’Eglise, leur présence dans l’assemblée et leur absence des niveaux de décision. Les femmes catholiques expriment une vraie souffrance face à la non reconnaissance de leur engagement, à leur absence lors des prises de décisions et aux comportements sexistes dont elles sont témoins.

À ce titre l’ACF plaide concrètement pour :

  • Mieux exprimer la collaboration de l’homme et de la femme au sein de l’Alliance, dans le respect es écritures.
  • Faire participer les femmes à l’ensemble des responsabilités qui existent dans l’Eglise.
  • Associer activement les femmes à la formation des futurs prêtres.
  • Associer pleinement les femmes (et les jeunes filles) dans le service de la liturgie et des sacrements.
  • Approfondir la réflexion sur le ministère ordonné.

Mon avis : L’Acf constate et propose. Son plaidoyer est clair, concis, consensuel… peut être un peu trop consensuel. Les formules sont bien trouvées pour ne jamais directement s’opposer à ou se confronter à… à l’institution et aux hommes qui la gouvernent. Les citations d’interviews ou du mur de parole sont en ce sens un très bel outil et permettent d’ajuster la singularité du ressenti à une impression générale. Cependant j’aurai aimé que certaines de ces citations choisies soient plus incisives – de même que l’ensemble aurait pu être plus revendicatif car le constat dressé est alarmant.
Je conseille vivement sa lecture pour sa clarté et structure à tous ceux qui trouvent que quelque chose cloche dans l’Église sans savoir réellement pourquoi mais aussi aux hommes et femmes perplexes face à nos actions et revendications. Je crois sincèrement qu’il s’agit d’une belle porte d’entrée vers l’engagement féministe en Eglise.

Article écrit par Alice du Comité de la Jupe Charentais.


  1. “Le génie féminin est nécessaire là où se prennent les décisions importantes. Aujourd’hui le défi est celui-ci : réfléchir sur la place précise des femmes aussi là où s’exerce l’autorité dans les différents domaines de l’Église.” Pape François, entretien aux revues des jésuites, septembre 2013
  2. Instruction Redemtionis sacramentum, 2” avril 2004, n°47