Pourquoi ce n’est plus mon combat

 

Devant la paralysie de l’institution ecclésiale, il est légitime de se demander où sont les priorités du Comité de la jupe : talonner l’institution, en se cognant contre les portes des évêchés ? S’engager dans une réflexion de nature plus spirituelle ? Ou les deux ? Françoise Caclin ouvre le débat, en expliquant où vont ses propres choix.

J’ai été élevée dans la religion catholique. L’Église m’a transmis une spiritualité et une parole qui me nourrissent et auxquelles je reviens avec toujours autant de délices. Comme certaines mères, l’Église catholique a aussi son côté toxique et je dois dire que j’ai versé des larmes de rage en me heurtant à ses médiocrités et même disons-le à ses crimes. Cette colère restera toujours aussi intense mais aujourd’hui ce n’est plus mon combat. Combien de temps faudra-t-il pour que l’Église accepte de faire aux femmes une place égale à celle des hommes dans son institution ? Pour qu’elle accueille sans discrimination les homosexuels, les divorcés et tous les autres qui n’ont pas leurs papiers de bons catholiques en règle ? 50 ans, 100 ans, 1000 ans ? Peu importe en définitive.

Peu importe car aujourd’hui il nous reste 10 ans pour faire face à une urgence autrement plus vitale. Les scénarios du GIEC indiquent que le réchauffement de 2°C de la température moyenne du globe, dû à l’accumulation de gaz à effet de serre dans l’atmosphère, est inéluctable. Si rien n’est fait dans les 10 prochaines années, ce n’est pas +2° que nous aurons mais +5°, voire davantage. Plus 5°C, cela ne signifie pas que nous allons sortir les t-shirts 2 mois plus tôt, et les pulls 2 mois plus tard dans l’année.
5°C c’est : une montée du niveau de la mer qui va provoquer des centaines de millions de réfugiés ; des zones entières d’Asie du Sud-Est, actuellement très peuplées, totalement inhabitables ; la multiplication des événements climatiques extrêmes, ouragans, canicules, sécheresses par endroits, inondations ailleurs, et de leur violence ; des températures de 45° et plus en été sous nos latitudes. Nous serons confinés tous les étés non pas par le virus mais par la chaleur.
À cela s’ajoute le fait que nos sociétés modernes sont rendues très peu résilientes du fait de la destruction des écosystèmes. L’épidémie de covid 19 n’est pas due aux traditions culinaires et médicinales folkloriques des Chinois. Elle est due à la destruction de l’habitat naturel du virus, les animaux sauvages. C’était déjà le cas pour le VIH, pour Ebola, et il y en aura d’autres. Et quelle agriculture sera possible lorsqu’il n’y aura plus d’insectes pour assurer la pollinisation, plus de micro-organismes dans le sol pour en assurer la fertilité ? L’effondrement de la biodiversité est un problème au moins aussi grave que le réchauffement climatique et là aussi il y va de notre survie. Et ce ne sont pas des problèmes que nous pouvons nous permettre de léguer aux générations futures en les priant de nous pardonner. Quand les générations futures seront confrontées de plein fouet aux conséquences de nos actes il sera trop tard pour agir.
Alors dans 15 ans, dans 20 ans, quand mes petits-enfants m’interrogeront sur ce que j’ai fait, je ne crois pas qu’ils voudront savoir pourquoi j’ai renoncé à me battre pour l’accès des femmes aux responsabilités dans l’Église. Quelle importance, quand ce qu’ils me demanderont ce sera : Mamie, c’était quoi le printemps ? Mamie, c’était quoi une abeille ?

Nous sommes la première génération qui savait. Nous sommes également la dernière génération qui pouvait agir. Je préfère transmettre à mes enfants et petits-enfants une planète habitable, et une Église invivable, que l’inverse. Parce que dans une planète habitable il sera toujours temps de réformer l’Église. L’inverse ne sera pas vrai.
Mais me direz-vous, nous avons besoin de spiritualité. Oui, mille fois oui, la spiritualité fait partie de la solution. La spiritualité nous rassemble dans un but commun, bienveillant pour nous-mêmes, pour nos frères et sœurs humain.es proches ou lointain.es, et pour la planète. La spiritualité, et plus encore une spiritualité féminine, nous nourrira et nous accompagnera dans les nécessaires et profondes transformations sociales que nous devons affronter maintenant.
C’est pourquoi je vous invite à laisser pour de bon de côté les critiques, plaintes et revendications vis-à-vis d’une Église à bout de souffle. Vous voulez une Église inclusive, accueillante et ouverte à tous.tes ? Bâtissez-là. Vous avez tous les talents nécessaires, le savoir, le charisme, la créativité. Célébrez, méditez, enseignez, priez, qu’avez-vous besoin des curés pour faire cela ? Donnez-nous la de la joie, de l’espérance, de l’amour et de la sagesse pour que nous ayons la force de faire advenir un monde meilleur.

Pour comprendre les enjeux :

Françoise Caclin