Voix de femmes au sein des traditions juive et chrétienne
L’amitié Judéo-Chrétienne de Valence a organisé une conférence débat le 21 février 2023 à 20h00 au temple de Guilherand-Granges, sur le thème : Voix de femmes au sein des traditions juive et chrétienne.
Avec Emmanuelle Seyboldt, pasteure, Présidente du Conseil National de l’Église Protestante Unie de France, co-autrice du livre Des femmes et des dieux, Daniela Touati, rabbin de la synagogue libérale Keren Or de Lyon, Sylvaine Landrivon, catholique, docteure en théologie, dont le dernier livre paru en 2022 est Les leçons de Béthanie. De la théorie à la pratique.
Tonique et sympathique soirée autour des préjugés qui entourent encore la place des femmes dans nos religions et les moyens de les apprivoiser.
Beaucoup de chemin encore pour les femmes juives malgré la présence de quelques femmes rabbins dans le judaïsme libéral,… Daniela Touati défriche courageusement les obstacles.
Une longue route plus rude encore pour les catholiques embourbés dans un cléricalisme délétère… Le protestantisme nous donne une belle leçon à travers la sérénité du témoignage d’ Emmanuelle Seyboldt .
Merci à l’équipe d’organisation et aux nombreux participants et participantes !
Ci-dessous, une recension du livre Des femmes et des dieux par Sylvaine Landrivon :
Des femmes et des dieux, Kahina Bahloul, Floriane Chinsky, et Emmanuelle Seyboldt, Les Arènes, Paris, 2021, 246p.
Trois femmes : Kahina Bahloul, imame, Floriane Chinsky, rabbin, et Emmanuelle Seyboldt, pasteure, vont évoquer sur sept jours leur façon de concevoir, de vivre et de transmettre leur religion.
Jour 1 : A la question, « d’où venez-vous ? », Emmanuelle Seyboldt (ES) raconte comment dès son jeune âge, elle a perçu son rôle dans le projet de Dieu. « En grandissant, j’ai compris que Dieu avait besoin de mes propres forces, de mon intelligence et de mes mains pour combattre l’injustice.» (p.14). Floriane Chinsky (FC) exprime sa chance d’avoir été élevée « non comme une petite fille mais comme un être humain » (p. 18). Sensible, elle aussi, aux injustices, elle prend peu à peu de l’assurance grâce au rabbin Rivon Krygier qui l’incite à « monter à la Torah » et lui apprend à lire le texte. Kahina Bahloul (KB) découvre très vite la complexité du texte coranique qui exige une analyse approfondie. Elle réalise que « si on avait confié l’interprétation des textes à davantage de femmes, on aurait abouti à une conception certainement plus égalitaire entre hommes et femmes. » (p.29). Début 2020, elle inaugure une mosquée libérale avec Faker Korchane.
Le deuxième jour est consacré à la confrontation au patriarcat. Dans une religion qui respecte l’égalité entre les femmes et les hommes, ES évolue naturellement vers des postes à haute responsabilité jusqu’à devenir Présidente du Conseil National. Comme le remarque FC, « l’organisation protestante offre donc une responsabilité à des gens qui ne la revendiquent pas » (p.37) et précise qu’une telle démarche est « déterminant[e] pour une accession égalitaire des femmes aux postes importants. » (p.37).
FC rappelle l’histoire de la place des femmes dans sa religion et comment elle a évolué au fil du temps. Elle mentionne un passage du Talmud babylonien Meguila 23a : « tout le monde est habilité à monter à la Torah, parmi les sept personnes requises, même une femme, même un mineur. » Mais le texte ajoute qu’une femme ne doit pas lire devant un public masculin « en raison de l’honneur de la communauté ». (p.40).
Dans ce tour d’horizon, Regina Jonas est la toute première femme rabbin de l’histoire moderne, ordonnée en 1935 mais dont le parcours a été rapidement occulté. Pauline Bebe ordonnée en 1990 sera la première française, suivie de Floriane Chinsky, puis de Delphine Horvilleur, de Daniela Touati et Iris Ferreira, aucune n’étant ordonnée en France.
KB note la recrudescence de jeunes prédicateurs fondamentalistes, dépréciant les femmes, dans un univers où « les hommes se sont complètement approprié le discours religieux » (p.44). Mais un nouveau courant s’interroge sur la dérive extrémiste et il apparaît « un désir d’entendre plus de femmes s’exprimer » (p.44). Évoquant Marie, elle note que « sa vie est beaucoup plus détaillée dans le texte coranique que dans la tradition chrétienne » (p.44). Elle se réfère sans doute, non à la tradition mais au Nouveau testament qui, en effet, parle très peu de la mère de Jésus. Kahina précise que dans le Coran, Marie devient enseignante et fait un clin d’œil à Floriane Chinsky en suggérant que Marie serait peut-être la première femme rabbin de l’histoire (p. 45)
FC fait le bilan de leurs expériences et note que « Emmanuelle a été appelée par son institution. De mon côté, j’ai dû me lancer avec l’espoir que certaines structures m’accepteraient comme rabbin, et toi, tu dois tout créer à partir de rien. » (p.46).
ES rappelle qu’en réalité il y a de nombreuses femmes disciples proches de Jésus dans le Nouveau Testament. En se fondant sur Co11, elle montre que Paul souhaite « que le culte soit un témoignage pour les non-croyants qui viendraient y assister » (p.49) et elle en tire une intéressante déduction : « si c’est bien le regard des non-croyants qui compte : en 2021, interdire aux femmes de prendre la parole (comme c’est le cas dans certaines Églises) est devenu pour les non-croyants une raison de rejeter celles qui pratiquent ainsi leur foi. Faire taire les femmes est donc aujourd’hui exactement le contraire de l’intention de Paul. » (p.49-50). Un peu plus loin, elle constate que « la manière dont les femmes sont traitées reflète parfaitement le point de vue qu’adoptera la communauté sur les autres questions liées au racisme et aux discriminations en général. » (p.52). KB approuve tout à fait cette analyse et note à son tour le « lien étroit entre le sort des femmes et l’avancement des droits humains et des libertés fondamentales ». (p. 52) La subordination des femmes dont elle est victime dans la période de grande crise de l’islam lui paraît « révélatrice d’une problématique transversale plus profonde, celle de la domination des plus forts, qui engendre la sujétion des minorités sociales et donc l’injustice ; » (p.53). Ce à quoi FC répond « qu’à partir du moment où on met les femmes au second plan, on entretient l’idée que les inégalités sont normales, et on légitime également l’humiliation d’autres hommes et femmes au nom d’autres mauvaises raisons. » (p. 53).
Le troisième jour a pour objectif de définir les principaux piliers de chacune de trois religions représentées. Selon FC, « le judaïsme est une méthode de vie et de pensée qui permet de développer un double niveau de conscience : être à la fois en connexion avec la réalité et capable de prendre du recul par rapport à cette réalité. » (p. 59)
ES rapporte de façon très instructive la rencontre d’Élie avec Dieu expliquant qu’Élie « se prenait pour celui qui devait agir au nom de Dieu, et peut-être qu’il avait un peu extrapolé ce que Dieu voulait ! il agit dans la violence et la fureur, alors que Dieu, Lui, se manifeste dans un souffle ténu ». ce qu’elle interprète avec finesse, comme une mise en garde contre ce que l’on croit comprendre de Dieu et ce qu’il souhaite. (p. 78).
Le quatrième jour est consacré à la question féministe. « La question que je me pose, [dit FC] c’est pourquoi l’ostracisation des femmes apparaît à certains comme une conduite encore valable aujourd’hui, y compris au sein de nos traditions religieuses[1] » (p.126) ; « est-ce que l’on peut imaginer différentes formes d’une autorité fondée sur les compétences de chacun, leur désir, et le désir du groupe ? Une telle évolution nous ferait certainement basculer dans un système d’intelligence collective tout à fait révolutionnaire. Or cette organisation en société non hiérarchique, il se trouve qu’elle existe dans nos trois traditions. C’est la règle selon laquelle n’importe qui peut enseigner et diriger la prière. Une règle fondamentale qui, en dépit du carcan patriarcal mis en place par les hommes, nous a permis de devenir toutes les trois ministres du culte. » (p.128)
Jour 5. Place du corps dans les religions et traditions. ES précise immédiatement que le christianisme est une religion de l’incarnation. « Le rappel de ce corps, la présence de Dieu dans la corporéité du monde, donne un sens, une importance indépassable au corps des humains ; (p.135) en outre, « C’est bien une promesse qui est attachée au corps, et non une condamnation » (p. 136). Elle rappelle que l’autre n’est pas moi-même mais une promesse dans une différence irréductible qui permet la relation. Un mot ressort dans le mode de relation de Jésus aux personnes qu’il rencontre : le respect.
La place de l’Écriture est réservée au sixième jour. A l’instar de Paul Beauchamp dans Parler d’Écritures saintes, (exégète jésuite qui n’est pas cité), il convient pour chacune de faire la part du divin et de l’humain dans des textes d’inspiration sacrée. FC pointe ce terme d’inspiration, car il « admet plusieurs façons de vivre cette inspiration » (p.182). selon elle, c’est ce qui explique l’interprétation patriarcale du texte depuis tant de siècles, et de ce fait, ce qui autorise désormais une lecture féministe.
ES note que ce texte est « Parole ». C’est, dit-elle, qu’il prend vie quand on le lit à haute voix. L’exemple de l’eunuque Éthiopien montre que pour que le texte soit réellement vivant, « il faut qu’il soit expliqué, interprété et surtout proclamé, c’est-à-dire que celui qui lit expose ensuite comment il fait sens pour lui. » (p. 184). ES rappelle que les textes bibliques appartiennent à des genres littéraires très divers, qui, dans la multiplicité de leurs sens se complètent, (p.194-195) et elle invite surtout à chercher des questions dans la Bible plutôt que des réponses. KB fait d’une certaine manière la même remarque en mentionnant sa surprise de « voir des gens utiliser le texte coranique comme s’il s’agissait de la notice d’un lave-linge ». (p.186).
Le septième jour est consacré à la conception du sacré. Floriane Chinsky, et Emmanuelle Seyboldt relativisent immédiatement l’importance de ce terme en disant par la voix de Floriane que « ce qui est sacré, c’est la liberté et la responsabilité» (p.207), ce que cautionne le rire d’Emmanuelle. Nous allons partir loin d’un rituel entretenu par un entre-soi clérical.
FC considère que ce qui est sacré « c’est ce qui advient lorsque nous sommes ensemble », (p. 208) c’est « le sentiment de nous surpasser et de participer à une aventure qui nous transcende » (p. 208)
La notion de liberté dans la relation au divin est très importante c’est pourquoi FC recommande de traduire le Chema ou les Dix paroles en prononçant « je serai pour vous lé-élohim » c’est-à-dire comme un Dieu. Autrement dit : « si vraiment vous voulez un Dieu prenez-moi (…). Ce sera toujours moins grave que de l’idolâtrie pure. » (p.208).
Elle explique que le kadosh marque la séparation. Il a une grande importance dans le monde antique car « l’idée était de séparer les Hébreux de la conception idolâtre du divin » (p.209). Mais comme le fera remarquer ES un peu plus loin, kadosh serait à traduire plutôt par « saint » et « Est saint ce qui est en lien avec Dieu, car Dieu seul est saint » (p.213).
ES précise que « sacré » est un terme qu’elle n’utilise jamais, qui ne fait pas sens pour elle. Elle rappelle que la Réforme protestante a été une « entreprise de désacralisation du monde », (p.212), l’Église devant être à réformer sans cesse. Mais elle ajoute aussitôt que c’est un combat de tous les instants de lutter contre la tendance humaine à sacraliser des gens, des choses…
Elle note au passage que le mot « sacrement » ne possède aucune occurrence dans le Nouveau Testament.
En revanche la sainteté de Dieu crée cette distance ou séparation infranchissable pour les humains, mais Lui se rend proche par Sa parole, comme lors de la rencontre avec Moïse au chapitre 3 du livre de l’Exode. Le lieu de la rencontre devient saint mais par la présence de Dieu durant l’échange pas en tant que tel. Et le plus important selon Emmanuelle Seyboldt durant ce dialogue, c’est qua malgré la sainteté divine en action, Moïse conserve sa liberté de résister, argumenter, pour tenter d’échapper à sa mission.
En outre cette sainteté n’est pas attribuée de manière exclusive. La deuxième occurrence du terme est attribuée au peuple dans le livre de l’Exode au chapitre 19 : « vous serez pour moi un royaume de prêtres et une nation sainte » (Ex 19,6)
Enfin Kahina Bahloul remarque que « L’homme n’est jamais si éloigné du sacré que lorsqu’il se croit supérieurement intelligent, doté de superpouvoirs, capable finalement d’égaler Dieu, et donc de définir ce qui est sacré. » (p.220).
[1] Respondeo Sylvaine L : peut-être parce que les femmes possèdent le pouvoir exorbitant de donner la vie.