Pâques, les femmes, et la crise

 

Au lendemain du sabbat, les femmes vinrent au tombeau de Jésus et trouvèrent le tombeau vide. Pas d’hommes avec elles. Si c’est un bon argument à opposer à une institution catholique infidèle à ses sources, ce ne serait pourtant pas très sain d’en déduire que les femmes savent mieux que les hommes accompagner la fin de la vie et pressentir la force de la résurrection. Non, être au plus près de la vie n’est pas un apanage féminin. Tant mieux si ce charisme a été bien incarné par des femmes, mais il est donné à tous. Et d’ailleurs, les quatre évangélistes précisent que les soins du corps portés à Jésus l’ont été par un homme, Joseph d’Arimathie.

« La présence au tombeau » est un bien commun, une attitude humaine universelle. C’est même un moment initiatique d’entrée dans la condition humaine, un topos. Être présent à la fin de celui qui meurt nous définit comme être humain. Au plus loin de l’histoire occidentale, Antigone refuse que le corps de son frère soit déchiqueté par les dents des chiens et les becs des oiseaux. Acceptant de mettre sa propre personne en otage, elle proteste : non, le corps humain n’est pas une viande. Dans cette puissante révélation, elle prend conscience… de sa conscience, forte, souveraine, et se découvre en outre en communion avec toute l’humanité.

Pourtant, en ces jours douloureux, quelque chose de la conquête d’Antigone nous a manqué. Par crainte du virus, nous n’avons pas bien traité la fin de la vie de nos proches. Forts de notre science, nous sommes retournés à une certaine inhumanité. Un homme, sur le seuil de la mort, s’en plaignait devant son infirmière en larmes : « Sera-ce cela ma mort, loin de mes enfants ? » Non, cette attitude n’est pas « ajustée » à la situation. Mais le souci de la santé d’autrui n’est-il pas légitime, lui aussi ? Reste la dénonciation, ou plutôt la demande de pardon d’avoir dû commettre cette faute. C’est ce qu’a fait avec courage Isabelle de Gaulmyn : Enterrer ses morts, principe de vie (La Croix – Hebdo 41676).

Dans le jardin de Pâques, autre chose monte des profondeurs humaines. Ces femmes vont vivre l’inouï d’un « réveil ». Elles vont constater le vide du tombeau, elles entendront les anges les envoyer en Galilée, lieu de la rencontre avec le tout-venant de l’humanité, pour retrouver ce Jésus que les filets de la mort n’ont pas retenu. Avant de le découvrir, Marie de Magdala, par trois fois, réclame le corps. Mais il aura suffi qu’elle soit appelée par son nom, c’est-à-dire qu’elle se ré-habite elle-même, qu’elle devienne présente à elle-même, pour comprendre qu’une autre vie est en train de naître. Elle accepte alors de renoncer à la vie d’avant, celle du corps de chair : noli me tangere. Et peut vivre la Pâque. Alors elle va entendre, puis partager avec les disciples, un message qui ouvre à une fraternité sans limites : « Mon Père et votre Père, mon Dieu et votre Dieu. » Marie est maintenant prête à vivre d’un corps spirituel.

Que révèle la crise du Covid-19 sur notre « présence au tombeau » collective ? D’abord, un choix, pris dans le secret des décideurs que nous nous sommes donnés : privilégier la vie plutôt que l’argent. La santé avant l’économie. Puis l’attention constante, méticuleuse, exigeante des soignants à préserver la vie : se mobiliser, donner au-delà de son temps, soigner comme une obsession, ne pas répandre la maladie. Travail noble, de haute compétence. Autour de ces soignants, un cercle plus large de caissiers et de caissières, de routiers, de journalistes et de bien d’autres, qui sont présents à leur poste. Ce sont eux qui nous font comprendre notre interdépendance. Œuvre de solidarité, d’inventivité, ascèse du devoir à accomplir. Autour d’eux encore, des dirigeants, des élus, des fonctionnaires : anticiper, convaincre, accepter ses limites, alerter sur les dérives, accueillir le manque et les critiques contre le manque, avancer à l’aveugle et l’admettre. Chez tous, sens de la responsabilité, de la décision, mais aussi apprentissage de l’imparfait, du regret de n’avoir pu faire mieux. Devant cette révélation de nos ressources cachées d’humanité, n’avons-nous pas envie de dire que « notre cœur était tout brûlant », car les Écritures sont là, gravées dans la chronique de nos jours ? Le ciel ne s’est-il pas ouvert ? Le Christ n’est-il pas au milieu de nous, présent sur le visage de ceux qui sortent de leurs enfermements, parce qu’ils préfèrent aimer ? Ce jeune fleuriste qui dépose une jonquille sur chaque tombe du cimetière plutôt que de les jeter, ces couturiers qui se mettent à faire des masques, ces traiteurs qui offrent des repas aux soignants, ces enfants qui dessinent pour les pensionnaires de l’EPHAD voisin, la liste serait longue des gestes de résurrection dont nous sommes les témoins et même les acteurs. Tel est le sens de la « présence au tombeau » : déchiffrer, faire éclore et grandir les signes de la vie. Promesse de vie, déposée entre nos mains et que, demain, nous aurons la charge de transformer en réalité.

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Anne Soupa